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Révisions constitutionnelles dans les pays du Maghreb : Valses à trois temps
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Publié dans El Watan le 27 - 05 - 2015

Les Constitutions de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc ont fait l'objet d'un colloque organisé à l'université de Annaba. Des spécialistes venus des pays du Maghreb et de France ont décortiqué les Constitutions de ces pays, ainsi que leur application sur le terrain.
Au-delà des questions techniques, les spécialistes sont unanimes : les pays du Maghreb doivent adopter des Constitutions qui répondent aux aspirations démocratiques des peuples, en prenant en compte le contexte géopolitique de la région et plaident pour la participation des peuples au contrôle de l'Exécutif.
Une bonne Constitution ne peut suffire à faire le bonheur d'une nation ; une mauvaise peut suffire à faire son malheur», disait si bien le juriste français Guy Carcassonne, spécialiste du droit constitutionnel.
C'est, peut-être, parce que l'on s'en est enfin rendu compte que des révisions constitutionnelles ont été entreprises, en passe de l'être ou tentées un peu partout au Maghreb. Mais les questions que d'aucuns se posent sont : les nouvelles Constitutions vont-elles y entraîner de profonds bouleversements politiques et juridiques ? Seraient-elles annonciatrices d'une nouvelle forme de démocratie, de véritables Etats de droit ? De prestigieux constitutionnalistes, à leur tête le Pr Ahmed Mahiou, ancien doyen de la faculté de droit d'Alger et ancien directeur de l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (IREMAM-Aix-en-Provence), des juristes spécialistes en droit international et droit public, issus d'universités tunisiennes, marocaines, algériennes et françaises que l'Université Badji Mokhtar a récemment réunis à Annaba, ont tenté d'y répondre.
Le cadre ? Un colloque international, de deux jours, organisé par le laboratoire «Etudes juridiques maghrébines», en collaboration avec la faculté de droit de Annaba et le soutien de la Fondation allemande Hanns Seidel Maghreb, durant lequel plus d'une vingtaine de communications consacrées à différents aspects de la problématique des «Révisions constitutionnelles dans les pays du Maghreb» ont été longuement débattues.
Y ont, toutefois, suscité des échanges, particulièrement intenses et fructueux, les questions relatives au «statut» du président de la République, du Premier ministre et du parlement, aux relations entre le président de la République et le Premier ministre, relations du président de la République, du Premier ministre avec le Parlement, à la garantie des droits et des libertés des citoyens, la place des partis politiques dans les révisions constitutionnelles, la place de l'Islam dans les Constitutions maghrébines, et l'apport des révisions constitutionnelles sur le droit administratif et le droit international.
D'autant que le contexte politique actuel prévalant dans les pays du Maghreb est très représentatif des difficultés que la région a toujours rencontrées pour établir un pacte constitutionnel consensuel durable et reconnu par l'ensemble des acteurs politiques et sociaux. «Le pluralisme politique et la garantie des droits et des libertés des citoyens, bien que consacrés dans les anciennes Constitutions des pays du Maghreb, ont été repris dans les nouvelles dispositions constitutionnelles», affirme le Dr Messaoud Mentri, président du comité scientifique de la rencontre.
Mais, tient à préciser ce juriste, maître de conférences, «la question se pose si on leur a donné plus d'effectivité. Il est certain que les dispositions constitutionnelles ne se mesurent pas seulement dans leur formulation, mais aussi dans les modalités pratiques de leur application». Depuis l'avènement du printemps arabe (2011), la nécessité de corriger l'ordre constitutionnel s'était imposée au Maghreb et plusieurs voies y ont été empruntées dans cette perspective.
Un certain nombre de révisions constitutionnelles centrées sur les sujets les plus urgents ont été menées ou tentées, ont fait ressortir les débats entre les juristes algériens, marocains et tunisiens présents au colloque.
Ces dernières années sont donc apparues comme le théâtre d'une valse constitutionnelle à plusieurs temps. Par ce regroupement, l'opportunité s'était offerte aux conférenciers pour faire à la fois le bilan du nouveau constitutionnalisme tunisien et marocain, et de réfléchir à l'avenir de leur voisin algérien, en attente de révision et d'un consensus qui tarde à se dégager.


André Cabanis. Professeur d'histoire du droit à l'Université Toulouse 1 Capitole .France :

«Une réflexion sur les ‘‘révisions constitutionnelles dans les pays du Maghreb'' incite à s'interroger sur le rôle des printemps arabes dans les transformations ayant affecté non seulement les nations du Maghreb, mais aussi celles du Machrek et au-delà de nombre de composantes de l'Umma.
Il n'y a pas de doute qu'une série d'événements, souvent inattendus aux yeux des observateurs internationaux, parfois mystérieux dans leur déclenchement, avec d'incontestables phénomènes de contagion, a eu d'importantes conséquences politiques au nombre desquelles figure la révision des Constitutions.
Le fait que ces dernières aient manifesté une certaine convergence avec l'introduction d'éléments démocratiques supplémentaires, avec un allongement des déclarations de droits, avec une affirmation du rôle du Parlement, avec une marge de manœuvre plus importante au profit du Premier ministre, avec l'affirmation d'un certain nombre de contre-pouvoirs, notamment sous la forme d'autorités administratives indépendantes, peut conforter l'impression d'un mouvement général qui aurait affecté l'ensemble des pays du sud de la Méditerranée en poussant parfois jusqu'à certains Etats riverains du golfe arabique. Nombre de chefs d'Etat qui paraissaient solidement enracinés ont vu leur pouvoir ne pas y résister.
En même temps, une fois le calme revenu, une fois le mouvement de foules maîtrisé, après les changements exigés par les circonstances, notamment au niveau du personnel politique, l'on peut penser que chaque pays a retrouvé ses caractéristiques, les valeurs traditionnelles dont il se réclamait, finalement le destin qui était le sien depuis des décennies, avec des déséquilibres qui n'ont pas changé en profondeur, même si cela doit décevoir ceux qui appelaient de leurs vœux un bouleversement total.
En tout cas, c'est ce qui semble apparaître à la lecture des textes constitutionnels. Si le Maroc et la Tunisie se sont dotés d'une loi fondamentale entièrement nouvelle, l'Algérie et la Mauritanie se sont bornées à des révisions limitées, en tout cas pour le moment. De toute façon, dans ces quatre pays, il n'est aucune transformation un peu importante qui n'ait été esquissée au cours des années précédentes. Sur tous les aspects qui ont été introduits, les textes actuels ont pris la suite de leurs prédécesseurs».
El Ghali Mohamed. Professeur et chef de Département droit public Université Caddi Ayad Marrakech (Maroc) :
«La Constitution marocaine de 2011 en est à la troisième génération : elle porte surtout sur la déclaration des droits, la garantie des droits et la capacitation, (c'est-à-dire assurer au citoyen l'accès à son droit), le passage à l'action.
La constitution marocaine va dans ce sens. Mais, a-t-on les moyens de sa politique pour mettre en application la capacitation ? La tendance de la Constitution marocaine repose sur l'adoption de trois approches pour la capacitation ; une approche genre visant à assurer l'égalité entre les deux sexes (homme et femme), une approche participative qui a pour objectif d'impliquer les citoyens et citoyennes dans le processus décisionnel, c'est-à-dire ne pas considérer le citoyen comme un assujetti devant les politiques publiques, mais comme un acteur à part entière, et enfin une approche territoriale qui a pour objectif de reconnaître et de valoriser et favoriser les spécificités de chaque territoire.
C'est-à-dire une reconnaissance de l'identité dans sa dimension transversale. Cette Constitution a été adoptée par référendum en juillet 2011. Elle a établi la deuxième Monarchie au Maroc. Dans l'ensemble, on peut dire que les Marocains sont satisfaits. Au niveau théorique, la Constitution marocaine a répondu aux attentes et aux préoccupations du citoyen marocain en matière économique, politique, culturelle et sociale.
Mais le grand enjeu se situe au niveau de la mise en œuvre de ces dispositions qui nécessitent un esprit ouvert et dépourvu de tout caractère égoïste. Il existe des malentendus entre les partis politiques. Il y a un certain discours qui domine le rapport entre les partis de la majorité et les partis de l'opposition. Ce qui perturbe et compromet l'accélération de la mise en œuvre des réformes introduites en 2011 par la Constitution».

Taoufik Bouachba. Professeur de droit international à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis (Tunisie) :
«La Tunisie s'est dotée de sa nouvelle Constitution le 27 janvier 2014. Cette Constitution, la troisième en Tunisie, est entrée en vigueur et notre pays vit actuellement sous son règne. C'est selon cette Constitution que sont désormais aujourd'hui aménagés et organisés les pouvoirs publics tels que conçus par cette nouvelle Constitution.
Il reste que certaines institutions constitutionnelles ne peuvent commencer à fonctionner que si les lois organiques les concernant sont adoptées. Aussi, en ce qui concerne la justice, nous avons besoin d'une loi organique pour créer effectivement le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) appelé à encadrer le pouvoir judiciaire. Nous avons également besoin d'une loi organique pour créer officiellement la Cour constitutionnelle prévue par la nouvelle Constitution.
Et il en est de même concernant d'autres institutions constitutionnelles. D'un autre côté, les différentes dispositions de la Constitution 2014 sont entrées en vigueur et en application, le Parlement fonctionne selon les règles de cette Constitution. Il en est de même du pouvoir exécutif tant en ce qui concerne le président de la République que le chef du gouvernement lui-même. Aussi, la société tunisienne profite largement, aujourd'hui, des droits et libertés consacrés par la nouvelle Constitution.
S'agissant de votre pays, l'Algérie, je suis avec beaucoup d'intérêt le projet de révision de la Constitution qui correspondrait à une véritable réforme constitutionnelle. Il semble bien que l'on s'oriente vers un enrichissement de la Constitution en y introduisant de nouvelles dispositions de nature à répondre à un certain nombre d'attentes du peuple et de la société algériens.»


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