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Tahar Zbiri revient sur le putsch du 19 juin 1965 : «Ben Bella a été victime de son zaïmisme»
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Publié dans El Watan le 18 - 06 - 2015

Cinquante ans après les faits, l'ancien chef d'état-major, Tahar Zbiri, revient sur cette fameuse nuit où il a déposé Ahmed Ben Bella. Il nous livre son témoignage sans regret ni amertume.
Le 19 juin 1965 à 1h30, le premier président de l'Algérie indépendante reçoit une visite qui marque d'une empreinte noire l'histoire du pays. Le chef d'état-major de l'armée vient lui signifier «la fin de la comédie», autrement dit sa destitution. Cinquante ans après les faits, ce chef d'état-major, Tahar Zbiri, revient sur cette fameuse nuit et nous livre son témoignage sans aucun regret ou amertume.
«Audacieux, Ben Bella s'est confondu avec l'Etat, il s'est imposé comme l'Etat et le pouvoir, il était Président, chef du gouvernement, ministre des Affaires étrangères, il lui restait à écarter Boumediène pour avoir la Défense. On lui a compté une vingtaine de responsabilités, c'était de la démesure, il fallait y mettre un terme», se rappelle notre interlocuteur du haut de ses 86 ans. Tahar Zbiri affirme que plusieurs réunions ont eu lieu avant le coup d'Etat, regroupant le colonel Boumediène, Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Medeghri, Cherif Belkacem, Kaïd Ahmed et Saïd Abid. «Je me rappelle comme si c'était hier de la crainte affichée par Boumediène, il avait une peur bleue que Ben Bella s'en prenne à lui.
En procédant à lui couper ses ailes, avec le limogeage de Ahmed Medeghri, de Kaïd Ahmed, puis arriva le tour de Bouteflika, Boumediène, qui était ministre de la Défense, se voyait le prochain sur la liste», témoigne Zbiri, qui se souvient d'une phrase que répétait Boumediène : «''Il viendra un temps où celui qui lèvera le petit doigt risquera de le perdre'', ça voulait dire qu'on n'aura plus le droit de donner un avis au risque d'être emprisonné, exilé ou même exécuté.»
Tahar Zbiri, qui fut l'exécutant de la mission du coup d'Etat contre celui qui le désigna comme chef d'état-major de l'armée en 1963, témoigne qu'il avait été convaincu de la «justesse» de cette option par Boumediène. «Ben Bella m'avait désigné chef d'état-major pour s'assurer mon soutien. Mais il a dévié et a fini par avoir trop de pouvoirs. Il était versatile et pouvait changer d'avis d'un moment à l'autre. Boumediène nous a transmis sa peur, le pouvoir exceptionnel que se donnait Ben Bella risquait de tout emporter…
Il prenait des décisions improvisées et incongrues, il fallait agir», nous confie Zbiri qui, même lors de sa désignation comme chef d'état-major à l'insu de Boumediène, ne voulait pas avoir ce dernier comme adversaire. «On était de la même région, on se connaissait bien, on était tous deux des enfants du peuple», note Zbiri, en se rappelant ce que Boumediène lui avait dit ironiquement le jour de sa désignation par Ben Bella comme chef d'état-major : «Tu peux même prendre mon poste de ministre, si Tahar.» «Moi je sentais que c'était un piège et j'ai dit que je n'en voulais pas», se rappelle-t-il.
Notre interlocuteur précise que même si le limogeage de Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, a été un des facteurs déclencheurs de l'action contre Ben Bella, les raisons du coup d'Etat sont un ensemble de facteurs. «Le pouvoir grandissant de Ben Bella est la principale raison. Boumediène se sentait de plus en plus écarté. Le limogeage des ministres qui étaient sous son aile, l'accord signé par Ben Bella avec Aït Ahmed sans l'en avoir informé montraient que Ben Bella préparait un coup contre Boumediène», note Tahar Zbiri, en précisant que même si l'on a toujours dit que les principaux instigateurs du coup d'Etat étaient Boumediène et Bouteflika, la décision a été prise de manière collégiale. Une seule personne ne pouvait rien faire.
«Pourquoi tous ces casques et ces masques ?»
«Connaissant mon caractère de fonceur, Boumediène me charge de mener la mission. Il fait appel au responsable des unités de la sécurité, Ahmed Draïa, pour m'accompagner. J'emmène aussi avec moi, en ce fameux 19 juin, Saïd Abid et une quinzaine de soldats, des chefs de bataillon de l'Ecole de Cherchell.
Et je débarque à la Villa Joly dans la nuit.» Notre interlocuteur reprend son souffle, son regard se promène dans la pièce comme pour chercher dans ses souvenirs le déroulement de la scène. «La sécurité au niveau de la porte d'entrée de la villa était sous la responsabilité de Draïa. Tout a été fait pour mettre en place des hommes sûrs à l'heure du changement de brigade, vers 21h. Je connaissais bien les lieux. Nous montons à l'étage où se trouve Ben Bella. Je tape à la porte. Il me dit : ''Qui est-ce ?'', je lui dis : ''C'est Tahar Zbiri. Si Ahmed, tu n'es plus président de la République''.»
Notre hôte reprend encore une fois son souffle puis enchaîne : «Ben Bella entrouvre la porte, il est impassible. En regardant les soldats qui étaient avec moi, il me dit : ''Pourquoi tous ces casques et ces masques, tu aurais pu venir seul avec Saïd Abid et je vous aurais suivi où vous voulez''. J'ai dit : ''Si Ahmed ils sont là pour notre protection à tous''.
Il me dit alors : ''Laisse-moi me changer'', je dis : ''bien sûr, change-toi et viens avec nous fi amen Allah'' (en toute sécurité)… J 'ai dit cela sans savoir quel sort lui réservait Boumediène.» Tahar Zbiri et ses accompagnateurs descendent avec le président Ben Bella, l'installent sur une chaise dans le hall d'entrée. Les soldats qui attendaient en bas n'en croient pas leurs yeux. «Ils n'étaient pas au courant de l'objet de la mission. En fait, quand ils ont vu Ben Bella de si près, ils se disaient entre eux ''c'est Si Ahmed Ben Bella''...
Je m'interpose et leur ordonne de s'éloigner en leur disant : ''C'est un militaire, je vous fais savoir, s'il prend la mitraillette de l'un d'entre vous, il nous massacrera tous''», témoigne notre interlocuteur avec le sourire. Celui qui deviendra sous Boumediène patron de la police, Ahmed Draïa, fait emmener le Président dans un lieu de détention situé à Hydra. «Pendant ce temps, Boumediène, comme le dit l'expression populaire, tenait son ventre, ne sachant pas si ça allait marcher. Je fais vite de l'appeler pour lui dire : la mission est terminée. J'ordonne de placer quelques chars un peu partout dans la capitale.
On craignait un soulèvement, vu la popularité de Ben Bella. Mais il n'y a pas eu de gros incidents, si le peuple avait réagi, aucun de nous ne serait resté vivant.» La lune de miel de Tahar Zbiri avec Boumediène n'est pas longue. Le chef d'état-major reproche au nouveau Président qu'est devenu Boumediène après le putsch contre Ben Bella d'écarter les militaires issus de l'ALN et de trop se rapprocher des officiers de l'armée française qui ont rejoint dans le tard la Révolution.
«Boumediène était sous l'influence des officiers de l'armée française»
«Je ne faisais pas confiance à ces officiers, je me méfiais d'eux. L'intention de Boumediène était de compter sur eux pour professionnaliser l'armée, mais j'avais une trop grande méfiance d'eux, je sentais comme si la France dirigeait l'Algérie à travers eux», se rappelle notre interlocuteur, en citant les noms des officiers qui avaient l'écoute de Boumediène : Chabou, Hoffman, Zerguini, Boutella, Abdelmoumene...
L'ANP a été constituée en 1962 de trois catégories de soldats et de militaires : ceux issus de l'armée des frontières sous la direction de Boumediène ; ceux issus des maquis de l'ALN, qui ont combattu sur le terrain l'ennemi colonial ; ceux issus de l'armée française. Une lutte interne se fit jour au sein du corps militaire. Les militaires de l'ALN se sentaient de plus en plus écartés par les deux autres catégories. «Je m'entendais bien avec Boumediène, mais je n'ai pas apprécié qu'il préfère tendre l'oreille à des capitaines de l'armée française plutôt qu'éau colonel de l'ALN que j'étais… Il était trop influencé par eux», souligne son chef d'état-major de l'époque.
Tahar Zbiri ne tarde pas à tenter un coup d'Etat contre Boumediène. En 1967, il entreprit de marcher avec les chars sur Alger pour déposer le nouveau «roi». La tentative fut vaine et vite déjouée. «J'ai pris de gros risques pour déposer Ben Bella et malgré cela Boumediène a continué à écarter les colonels de l'ALN et à être sous l'influence de Chabou, Hoffman et autres. En constituant son gouvernement, il n'a pas voulu prendre en considération des noms que je lui avais proposés», indique Zbiri pour justifier sa tentative de putsch avortée. Tahar Zbiri prend la route de l'exil, d'abord en Tunisie, qu'il quitte vite de peur de figurer comme monnaie d'échange dans un deal entre Boumediène et Bourguiba.
Il décide, avec son compagnon Mohamed Chebila, de se rendre en Suisse, qu'il sera aussi prié de quitter par la police fédérale pour se retrouver à Rome. «Lors de mon séjour en Suisse, j'avais rencontré tous les opposants algériens, notamment Hocine Aït Ahmed et Krim Belkacem. Les deux m'ont aidé. Aït Ahmed avait demandé à une amie journaliste britannique de m'héberger et de m'aider. J'avais entrepris, avec elle, d'écrire des lettres à tous les chefs d'Etat et chefs d'état-major, leur demandant d'intervenir pour libérer mes compagnons arrêtés en Algérie et que la mort guettait.»
Une cinquantaine d'années après, Tahar Zbiri n'éprouve pas de regret d'avoir pris part au putsch de 1965 car «Ben Bella a été victime de son zaïmisme». Notre interlocuteur se dit toutefois peu confiant pour l'avenir du pays et souhaite qu'après Bouteflika, «un vrai nationaliste sera choisi pour prendre les rênes du pays et lui éviter le pire».


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