Seule la raideur dogmatique peut justifier une posture comme celle de Benoît XVI. L'histoire de l'Eglise chrétienne, à travers les âges, n'est pas exempte de recours à la violence — celle des croisades ou de l'inquisition plus particulièrement — au point de faire porter aux autres religions révélées tout le poids négatif du phénomène. Dans son rapport à la science, c'est souvent à la raison, à la logique pure que l'Eglise a fait un sort. Galiléo Galiléi — Galilée — avait été contraint à renier publiquement ses découvertes capitales sur la rotation de la planète Terre, car elles contredisaient les fondements de la littérature biblique et constituaient une hérésie passible du bûcher. Galilée ne dut de garder la vie sauve que par cet acte de contrition, inspiré, il est vrai, par le pape Urbain VIII, qui ne voulait pas sacrifier le savant, autrefois son protégé, aux implacables rigueurs de la raison d'Etat. Son grand contemporain, Giordano Bruno, autre savant et philosophe en plus d'être dans les ordres, n'eut pas, comme Galilée, la chance d'être épargné. Il fut brûlé vif. Le Saint-Office, érigé dans le prolongement des grands schismes qui avaient ébranlé l'Europe chrétienne au Moyen-Age, s'était constitué en tribunal de la pensée. De tels épisodes sont révélateurs des conditions dans lesquelles a pu prospérer l'Inquisition par laquelle l'Eglise entendait conserver sa prééminence sur les affaires terrestres et spirituelles du monde chrétien. La Reconquista marquera significativement une volonté de plus forte expansion avec la colonisation de nombreux territoires en Amérique centrale et latine suivie de l'évangélisation forcée des populations soumises. C'est un élément sans doute fondateur du binôme religion-violence qui n'est pas, historiquement parlant, exclusif d'un culte au sens où Benoît XVI entend l'indiquer dans son discours à l'université allemande de Ratisbonne sur le lien entre violence et Islam. Il faudrait, en effet, l'ayant écouté, poser la question de savoir comment de nombreux peuples, en Afrique, en Amérique et en Asie ont embrassé la foi chrétienne. Un débat réellement serein sur une telle problématique ne peut pas aujourd'hui faire l'impasse sur le devoir d'autocritique sur les excès du passé. Une telle entreprise d'inventaire est, certes, difficile à conduire, car elle ne pourra pas éviter les séquences de violence qui ont entaché le parcours de l'Eglise sans que pour autant quiconque puisse professer qu'elle en a eu le monopole. La démarche ne devient en fait intellectuellement suspecte que lorsqu'il y a une volonté de vouloir accabler l'autre, et dans le cas de Benoît XVI, le musulman. C'est à cet égard que le discours du pape est illustratif des velléités de l'Occident chrétien à choisir entre dialogue des cultures et choc des civilisations avec tout ce que ce dernier concept implique de frontal et de guerrier. La pensée de Benoît XVI sur un tel choix est sans doute prisonnière d'atavismes anciens. C'est une pensée sanctuarisée, articulée autour d'une perception millénariste de l'univers. Les relations humaines ne peuvent plus se construire aujourd'hui sur le socle de l'indicible, et la conscience des hommes, parfaitement égaux au-delà de leurs croyances, ne peut pas se nourrir de peurs et de refus d'accepter son prochain. Dans son discours de Ratisbonne, le pape n'a pas démontré qu'il avait le souci de renverser les barrières qui, au cours des siècles, avaient divisé l'humanité. Et c'est sans doute en cela que face à la quête d'espérance du monde, il se montre un homme du passé.