Le présent poème en prose fait partie d'une série de textes que l'auteure rédige en ce moment sur le thème de la reconstruction. Il est publié ici en avant-première. Qui n'a pas connu le point fixe ? Cet endroit vrai ou imaginaire Ce lieu sur lequel se fige notre émotion des secondes, des minutes, des mois, des années... Pour toujours ? Qui n'a pas connu le point fixe ? Celui qui s'impose comme le lieu de notre errance après que l'inacceptable ne soit commis. Après l'horreur, la disparition, le viol, la décapitation, l'assassinat, la déflagration. Après avoir été le témoin, le parent, le frère, la sœur, le père, la mère, le collègue, l'ami, le voisin, le passant... Ce point sur lequel se fixe le goût de l'eau boueuse, de sang, de bile. Déserté qu'il est par l'enfance, l'amour, la confiance, le rire, l'insouciance, les larmes, les mots, les syllabes. Qui n'a pas connu le point fixe qui devient le lieu du silence ? Le passé se transformant perpétuellement en présent... Douleur cruelle ! Ce point qui devient le départ d'une ligne de fuite sur laquelle se construira peut-être le possible récit. Nous ressemblons alors à des champs de mines. A chacun de nos pas peut se produire une déflagration. Déminer, c'est refaire parcimonieusement le chemin. Se frayer une des voies possibles qui mènent à la réconciliation avec nous-mêmes. Nous avons traversé des champs de bataille invisibles. Tellement invisibles qu'il n'y a que nos cœurs qui peuvent les voir. Nous avons traversé des champs de bataille inénarrables. Tellement inénarrables qu'il n'y a que nos amnésies qui savent les raconter. Nous avons traversé des champs de bataille telles des foules aveugles. Ne sachant qui est l'ennemi, ne sachant quelle est la raison de la bataille. Que reste-t-il de tout cela ? Que reste-t-il de la bataille ? Il reste la peur ? Incrustée dans nos corps comme une mauvaise peau : la peur ! Quel est ce bruit sourd qui ressemble tant à la terreur ? Quelle est cette terreur qui s'installe sourdement, lentement, sans qu'on y prenne garde ? La peur vient déformer nos vies, nos habitudes, nos sentiments, nos convictions... Incrustée dans nos vies comme une mauvaise peau : la peur ! Il reste la peur. La peur comme butin de l'absurde terreur. La peur pour penser, s'enfermer, se cloîtrer, se détester, s'oublier, s'exiler, se suicider, s'engloutir dans un abîme sans repère. Mais dans cet abîme sans repère. Il y a encore le récit de l'impossible à construire. Il y a encore la scénographie de la parole tue à laisser naître. Oui ! Tenter les impossibles mots. Mots qui disent l'indicible, citent, témoignent. Et cela au risque de se tromper. Au risque de faire et de refaire l'exercice de l'impossible. Le fait de l'impossible récit rend le récit possible. Il nous éloignera de ce point fixe que nous connaissons tant.