Out of the ordinary, la nouvelle fiction de Daoud Abdel Sayed, projetée vendredi soir en avant-première nationale au premier Festival de Annaba du film méditerranéen, peut provoquer un sentiment contradictoire. Son contenu a fait débat parmi les festivaliers et parmi le public. La jeune comédienne Naglaa Badr, qui a interprété le rôle de Hayat, a été harcelée de questions par les journalistes après la projection, lors d'une conférence animée dans les salons du Théâtre régional Azzeddine Medjoubi. Out of the ordinary, qui peut être traduit par «hors du commun» ou «capacités extraordinaires», raconte une histoire portant de lourdes questions philosophiques sur le sens de l'existence et sur la fragilité de l'être humain. L'épais scénario écrit par Daoud Abdel Sayed lui-même a été plutôt bien traité, à l'image par cet ancien assistant de Youcef Chahine. «Daoud Abdel Sayed, qui est l'un des plus grands réalisateurs en Egypte actuellement, écrit tout, note tout. Il précise l'endroit où la caméra doit être installée et nous demande de ne rien ajouter à nos dialogues. Il refuse toute improvisation, mais nous laisse travailler librement. Il est perfectionniste», a déclaré Naglaa Badr. Mais quel est donc l'histoire de cet étonnant film ? Yahia (Khaled Abou Naga) mène des recherches sur les pouvoirs paranormaux. Il est obligé par son chef hiérarchique de prendre un repos. «J'aime voyager, aller dans des endroits que je ne connais pas», dit-il prenant la voix du narrateur. Yahia débarque dans un village du littoral méditerranéen, non loin d'Alexandrie. Il s'installe dans un hôtel habité par de drôles de personnages : un chanteur d'opéra, un interprète de l'inchad (Mahmoud Al Gendy, actuellement hospitalisé), un artiste peintre et un documentariste. Et puis, il y a Farida (Mariam Tamer). La petite Farida, si joyeuse et si vivace adore assister au passage de la fanfare du cirque, jouer avec le chien, taquiner l'artiste peintre, courir en bord de mer. Farida cache mal d'étranges pouvoirs qui vont susciter la curiosité de Yahia, mais aussi celle du voisinage après un spectacle de cirque. C'est là qu'intervient l'intrigant Omar (Abbas Abou Elhasan) qui se lance à la recherche de Farida et de Hayat, sa mère. Yahia, qui est attaché à Hayat, se sent quelque perdu après le départ de la femme avec sa fille. Il va même tenter de plonger dans l'univers spirituel pour essayer de savoir, sinon comprendre, ce qui se passe autour de lui. Mais, l'islam soufi a décidé de se «cloîtrer», d'éviter «les problèmes» avec les autorités politiques. La fuite en avant ? L'islam des ancêtres refuse-t-il de voir le monde d'aujourd'hui de près ? Daoud Abdel Sayed règle ses comptes - mais d'une manière fine - avec les fondamentalistes qui obligent les animateurs du cirque de partir. La critique des islamistes est devenue presque une constante dans le cinéma égyptien apparu après l'effondrement du régime de Hosni Moubarak. Un cinéma qui se cherche une nouvelle voie, mais qui ose poser des questions qui gênent. Le personnage négatif de Omar dans le film Out of the ordinary symbolise la quête éperdue du pouvoir. Sous prétexte de servir les affaires de l'Etat, Omar, qui profite de la vulnérabilité de Hayat, s'intéresse à Farida pour l'exploiter à sa façon. C'est à ce niveau-là qu'intervient la réflexion critique, inévitablement politique, de Daoud Abdel Sayed sur la puissance et sur les douces folies qu'elle entraîne. Farida est une fillette fragile et forte à la fois. Elle est consciente de ses pouvoirs, mais ne peut pas résister à la cruauté du monde. Et la science et la rationalité de Yahia ne l'ont pas aidé à comprendre le tourbillon qui l'entoure. Le cinéaste a veillé à ce que l'histoire soit racontée à la manière d'un storytelling. Les personnages de Hayat et de Yahia parlent de leur vécu. Le cinéaste aurait dû peut-être éviter d'entrer dans les détails, de charger le déroulement de l'histoire de trop de narration explicative. En mettant des artistes dans un hôtel en bord, presque en isolement, peut paraître comme un plaidoyer en faveur des gens de la création, ces «mal compris» de la société. Comme cela peut prendre la forme d'une forte charge contre les artistes et les créateurs qui ont tendance à mettre la tête sous l'oreiller pour ne rien voir, ne rien entendre, ne rien sentir. Daoud Abdel Sayed, qui s'est distingué avec des films tels que Kit Kat ou Rassayel el bahr (Lettres de la mer), cultive les paradoxes. Out of the ordinary est un long métrage (133 minutes) marqué par une mise en scène maîtrisée. Autant que la direction d'acteurs. Daoud Abdel Sayed s'est même offert la liberté de jouer avec les couleurs, privilégiant le vert et le bleu et de filmer des scènes poétiques, comme celle de Yahia découvrant que Farida lui vole ses bonbons... Le cinéaste a passé, selon Naglaa Badr, plus de deux mois à chercher la petite fille qui va interpréter le rôle de Farida. «Je pense que les capacités extraordinaires de l'être humain viennent de sa volonté, sa détermination. Un homme qui va couler fait tout pour sauver sa vie», a-t-elle souligné. Elle a précisé que le scénario du film a été écrit avant la Révolution du 25 janvier 2011. «Daoud Abdel Sayed prend toujours le temps avant de réaliser un scénario qu'il écrit lui-même. On faisait la lecture du scénario en même temps que la mise en scène se déroulait», a-t-elle confié. Journaliste et speakerine de télé, Naglaa Badr est passée au drama télévisé avant de tenter l'aventure du cinéma. Hayat dans Out of the ordinary est son premier rôle au grand écran. «L'interprétation d'un rôle est plus profonde au cinéma. C'est un condensé de sentiments. L'acteur doit faire attention à l'expression de son visage, car il est sur grand écran. Le spectateur détecte tout, fait la différence entre le vrai et le faux acteur», a-t-elle dit. Elle était accompagnée de May Nour Chérif, fille du défunt comédien égyptien Nour Chérif. En Egypte, Naglaa Badr a été critiquée pour avoir porté un maillot dans le film et pour une scène d'échange de baisers. «Daoud Abdel Sayed est le dernier cinéaste qui peut penser à faire du spectaculaire dans ses films. Lors du tournage, il parlait avec nous en tant que Hayat et Khaled, pas en tant que Naglaa ou Khaled. Nous avons approfondi l'étude des personnages. Nous nous sommes rendu compte que cette scène de baisers était indispensable. Une scène qui exprimait des sentiments de tristesse, d'où la larme sur ma joue. J'ai porté le maillot sans me gêner. En regardant le film pour la troisième fois, je n'ai même pas senti qu'il s'agissait de mon propre corps. Il est possible que je ne répéterais plus ce genre de scène», a confié Naglaa Badr.