Dis-moi quels textes tu as étudiés à l'école, je te dirai comment sera l'Algérie dans 25 ans». C'est par cette périphrase que les représentants du ministère de l'Education ont plaidé, lors d'une rencontre sur le livre et l'école tenue à l'occasion du Salon du livre, en faveur de l'introduction de nouveaux textes dans les manuels scolaires. Le fait est que la littérature algérienne est quasi-inexistante dans les manuels de langue arabe. Pis encore, la plupart des textes étudiés sont anonymes, puisés de la Toile, enracinant ainsi la pédagogie du plagiat. «Toute société a besoin d'une culture partagée, cela procède d'une identité collective. Et ce n'est pas le cas de la société algérienne», explique le Pr Mohamed Daoud, conseiller au ministère de l'Education et spécialiste de la littérature maghrébine. Il s'insurge contre le fait que les élèves algériens ne connaissent pas leur histoire littéraire. Il apparaît, en effet (dans le manuel de 1re As, filière littéraire), qu'hormis une petite histoire d'Aboulaïd Doudou, un texte du ministère algérien de la communication, il n'y a guère de littérature algérienne dans ce livre. «Même pour les sujets concernant la littérature arabe de la jahiliya, on aurait pu trouver des académiciens algériens qui ont écrit sur ce thème. Je ne fais pas dans le chauvinisme, mais tous les pays ont à cœur de promouvoir leurs auteurs», soupire Mohamed Daoud pour qui l'élève a besoin de modèles sur lesquels il peut s'appuyer. Il regrette, par ailleurs, qu'aucun livre scolaire n'évoque Apulée, auteur du premier roman dans le monde. Si certains auteurs de littérature algérienne contemporaine écrite en langue arabe sont relativement connus, à l'instar de Réda Houhou et Mohamed Laïd Al Khalifa, la majorité des écrivains ayant émergé dans les années 70', 80', 90' n'ont pas de place dans les livres scolaires. Il cite, entre autres auteurs, Tahar Ouettar, Aboulaïd Doudou, Djilali Khellas, Ahlam Mosteghanmi, Amin Zaoui, Mohamed Sari, Zineb Laouedj, Saïd Boutadjine, Bachir Mefti, Samir Kacimi... Résultat : «De par mon expérience dans l'enseignement supérieur, dit-il, j'ai vu que lorsque je parlais à des étudiants en magistère de la période numide, on me regardait comme si je venais d'une autre planète.» Une méthode qui n'encourage pas la réflexion Hocine Chelouf, inspecteur de langue arabe, explique, de son côté, à quel point la méthode utilisée dans l'analyse des textes littéraires au secondaire suscite le rejet des élèves. Basée sur l'approche par compétence, elle ne consacre pas, selon lui, l'élévation intellectuelle et ne les aide pas à interagir positivement avec l'environnement scolaire. «La méthode utilisée, mis à part quelques efforts personnels de certains enseignants, était stérile. On parlait du style, de ''El âtifa'' (L'intention de l'auteur), et de la discussion des termes utilisés. Cela à l'air acceptable, mais à y regarder de plus près, il apparaît que cela était approché avec des sentences toutes prêtes», précise-t-il. Les élèves étaient appelés à utiliser des «standards», quel que soit le texte littéraire. Les termes étaient toujours «forts et bien choisis», les idées «cohérentes» et l'intention de l'auteur «sincère». A cause de cet enseignement répétitif, précise Hocine Chelouf, les enseignants de langue arabe sont devenus l'objet de moquerie de leurs élèves. Heureusement, nuance-t-il, qu'il y a eu quelques enseignants qui ont travaillé à rendre leurs cours plus «vivants». «Si on devait avoir des ''prêt-à-penser'' pour les cours, on n'aurait pas besoin d'un enseignant pour l'analyse des textes. Cela vide le texte de son contenu intellectuel et esthétique. Il n'encourage en rien la réflexion, la critique et la créativité de l'élève», explique l'inspecteur en soulignant la volonté du ministère de l'Education d'encourager le texte argumentatif qui devra améliorer les capacités d'écriture des élèves, que ce soit pour une lettre de motivation ou une requête administrative. Mais la grande difficulté, selon Farid Benramdane, conseiller au ministère, réside dans le fait qu'il y a de fortes résistances dans le milieu des enseignants d'arabe, langue porteuse du poids de l'imaginaire religieux et de la grande tradition littéraire arabe. Il précise : «On a tendance à enseigner la langue arabe comme si la société algérienne était monolingue. On demande aux élèves de situer l'intention de l'auteur : comment voulez-vous qu'il devine la bonne foi d'un auteur du moyen-âge ? C'est pourtant le type de question posée jusqu'à présent au baccalauréat.»