Depuis 1996, date à laquelle ont démarré effectivement les premières privatisations d'entreprises publiques, à septembre 2009, date à la quelle fut publiée la loi de finances complémentaire qui mit fin au processus, (soit un peu plus d'une décennie), l'Algérie n'est parvenue à privatiser que 440 unités économiques environ, pour la plupart de petite taille (briqueteries, usines de boissons, hôtels, surfaces commerciales cédées aux travailleurs, etc.). Elles auraient rapporté environ 750 milliards de dinars au Trésor et surtout évité à l'Etat de continuer à assister financièrement ces unités qui ne brillaient guère. par leurs résultats. La loi de finances pour l'année 2016 autorise la reprise des privatisations en les soumettant toutefois à des conditions qui pourraient s'avérer gênantes pour leur mise en œuvre. Mais que de temps et d'argent perdus pour l'Etat qui avait besoin de ressources financières supplémentaires pour réduire son déficit budgétaire, mais aussi et surtout, de se désengager définitivement de la gestion d'un secteur public économique ruineux et impossible à assainir. Si pour certains cercles opposés aux privatisations le bilan est jugé déjà trop lourd, pour ceux qui appuient le désengagement de l'Etat du millier d'entreprises de production et de services qui lui appartiennent, les résultats seraient plutôt décevants. Au regard des 2500 unités économiques, généralement constituées en filiales ayant le statut de filiales rattachées à des groupes et grandes entreprises publics, le bilan des privatisations est à l'évidence très faible. Si le rythme des transferts des propriétés publiques au privé reste aussi long que par le passé (environ 40 privatisations par an) il faudrait, au minimum, 50 années pour venir à bout du processus qui devrait affecter au moins 2000 unités filialisées, à supposer qu'il ne s'en crée pas d'autres, entre-temps. Et à ce jeu de création de filiales, force est de constater que les EPE, notamment les plus grandes d'entre elles, ont excellé au cours de ces quinze dernières années. Comme si elles cherchaient à se prémunir contre le processus de privatisation qui menaçait de les faire disparaître à terme, les groupes et holdings publics ont, en effet, été particulièrement prolifiques en matière de création de filiales. Le rythme des privatisations, aggravé par un arrêt total qui a duré plus de six années (de 2009 à ce jour) est évidemment trop lent, si lent qu'il peut compromettre la transition à l'économie de marché, qui se mesure, comme chacun le sait, à la vitesse de désengagement de l'Etat du secteur public marchand, au profit des opérateurs privés. Une période aussi longue est, par ailleurs, porteuse de tous les périls, car nul ne peut présager de l'avenir économique d'un pays comme le nôtre, qui n'a pas de vision prospective et qui fonctionne au gré des conjonctures et de l'humeur de ses dirigeants. On le constate avec la volonté subitement affichée par nos autorités de constituer des pôles industriels à partir de grandes entreprises publiques auxquelles on avait, on s'en souvient, interdit d'investir, sous prétexte qu'elles devaient changer de propriétaire. Telle que l'Algérie est gouvernée, il n'est pas du tout exclu, et les subventions récemment accordées à certaines EPE (cas de la SNVI) tendent à le prouver, que l'Etat algérien n'est pas du tout enclin à se départir de sitôt du secteur public économique, qu'il considère aujourd'hui encore comme un de ses démembrements. Il est tout à fait clair que si l'Algérie ne privatise pas au rythme souhaité, c'est, avant tout, parce que la volonté politique n'existe pas. Quand il existe, le discours officiel favorable est en effet constamment contredit par la réalité du terrain. L'excès de procédures, la multiplicité des intervenants, les fréquentes interférences du politique, font que les transferts de propriété n'aboutissent qu'au terme de longues années. On se souvient en effet que l'ouverture du capital ou de la cession de certaines banques et grandes entreprises comme le CPA, la BDL, l'ENIE, l'Eniem, la SNVI, l'ENGI figuraient dans les programmes de privatisation datant, pour certains, de la fin des années 90 et que des banques d'affaires étrangères avaient même été engagées pour les évaluer et les mettre en vente. D'énormes budgets ont été engloutis dans ces opérations qui ont tourné court dès la promulgation de la loi de finances complémentaire pour l'année 2009. Opacité Souvent interpellées sur l'échec des privatisations programmées, les pouvoirs publics l'expliquent par le double souci de concrétiser les privatisations avec le maximum possible de transparence et de rentabilité. Un objectif à l'évidence difficile à atteindre en raison de la sourde mais féroce compétition que mènent certains clans du pouvoir pour accaparer les actifs les plus juteux. Bon nombre de chefs d'entreprise qui se sont portés candidats à certaines adjudications d'entreprises et certaines organisations internationales ont effectivement fait part de leurs difficultés à atteindre leurs objectifs tant le processus de privatisation est opaque et bien souvent pernicieusement orienté au profit de quelques clans et clients du pouvoir. Les autorités politiques pouvant faire valoir à tout moment des éléments qu'eux seuls maîtrisent (évaluation du patrimoine de l'entreprise mise en adjudication, prix minimum de cession, etc.), les entreprises ne sont pas toujours cédées aux mieux disants, mais à ceux qui conviennent aux décideurs. Autant de faits qui prouvent que le processus de privatisation est encore fortement dépendant des cercles d'influence qui peuvent à tout moment arrêter un transfert de propriété, lorsque l'acquéreur pressenti ne leur convient pas, ou l'orienter au profit d'un repreneur de leur choix. C'est évidemment au niveau de l'absence de volonté politique, exacerbée par un manque criant de consensus concernant les repreneurs potentiels qu'il faut chercher les véritables causes de la lenteur, voire sa suspension, en juillet 2009, du processus de privatisation. Aller plus vite en matière de privatisation est pourtant une exigence économique et commerciale, car la valeur des entreprises à vendre se mesure essentiellement à l'importance de leur marché et, dans ce domaine, les données peuvent changer radicalement d'une année à l'autre. Une usine de textiles qu'il était, par exemple, intéressant de mettre en vente il y a quelques années, ne rapportera pas grand-chose aujourd'hui, en raison de la concurrence exercée par les produits asiatiques. Mais au-delà des ressources financières non négligeables que les cessions d'actifs publics peuvent rapporter à l'Etat, c'est surtout dans le domaine politique et industriel qu'on trouverait les raisons les moins contestables de la mise en œuvre d'un large programme de privatisations. Politiquement, la privatisation des actifs publics remettrait en cause les privilèges dont profiteraient les anciens tenants du pouvoir et rendrait ainsi crédible la construction effective d'un système de marché auquel le pays aspire depuis la Constitution de 1989. Mais ce sont surtout des objectifs industriels que poursuivrait la privatisation. Trois objectifs paraissent pouvoir justifier la cession par l'Etat d'actifs publics : un objectif de plus grande maîtrise technologique par les collectifs des unités de production ; un objectif d'approfondissement de l'esprit d'entreprise et de familiarisation au risque de gestion chez les managers nationaux ; et, enfin, l'initiation des opérateurs économiques nationaux aux pratiques de plus en plus élaborées de promotion des exportations industrielles. Autant de contraintes qui pèsent sur l'industrie algérienne et que la privatisation pourrait assurément aider à desserrer. C'est pourquoi l'Etat ne doit pas hésiter à céder au plus tôt certains de ses actifs, en accordant, si nécessaire, le maximum d'avantages et incitations aux repreneurs, de préférence nationaux, qui acceptent de prendre le risque de les remettre en activité en prenant le soin de les moderniser pour qu'ils soient plus aptes à la compétition commerciale. Un cap que le gouvernement algérien a décidé de reprendre en remettant, à la faveur de la loi de finances pour l'année 2016, la privatisation de certains actifs publics au goût du jour. La crise financière qui s'installe au gré de la baisse des revenus pétroliers n'y est sans doute pas étrangère.