L'assurance affichée depuis le début de l'épisode baissier des cours du pétrole et des ressources financières de l'Etat quant à la capacité du pays à faire face à l'impact du retournement du marché pétrolier n'est plus d'actualité. Après les tergiversations sur les mesures à suivre dans ce contexte difficile et les annonces sur le mode de financement à adopter, place aux décisions puisque la question de l'emprunt a été finalement tranchée. Et ce, via un arrêté ministériel daté du 28 mars dernier. Un texte qui fixe les modalités de l'«Emprunt national pour la croissance économique». D'une durée de six mois, l'opération de souscription offre la possibilité de souscrire à des obligations nominatives d'une valeur de 50 000 dinars pour une période allant de 3 à 5 ans auprès de 6 organismes. Il s'agit de la Trésorerie centrale, la Trésorerie principale, les Trésoreries de wilaya, les Recettes d'Algérie Poste, ainsi que les agences bancaires, et enfin les succursales de la Banque d'Algérie. Concernant le taux d'intérêt, il est fixé à 5% pour les obligations de 3 ans, contre 5,75% pour celles de 5 années. Ces dernières peuvent être revendues à des personnes physiques ou morales, «par voie de transaction directe», ou par endossement, c'est-à-dire via la Bourse d'Alger, selon le texte de loi. Il reste maintenant à connaître l'engouement pour ce nouveau mode de financement qui a suscité, faut-il le rappeler, un large débat. En effet, la chute drastique des avoirs du Fonds de régulation des recettes (FRR) au cours de ces derniers mois et les prévisions de son épuisement d'ici fin 2016 a précipité la décision de l'emprunt national écartant pour l'heure l'endettement extérieur. Une solution pourtant déjà soulevée par le PDG de Sonelgaz, Noureddine Bouterfa et le ministre de l'Energie, Salah Khebri. Mi-mars dernier, le conseiller au département Moyen-Orient et Asie centrale auprès du Fonds, Jean-François Dauphin, a estimé que l'endettement interne était utile mais qu'il risquait d'avoir un effet d'éviction sur l'économie, (mobiliser des fonds pour couvrir le déficit budgétaire au détriment du secteur économique) alors que l'endettement extérieur permettrait de «minimiser» cet effet d'éviction sur l'économie. Mais, que ce soit pour la première ou pour la deuxième option, les interrogations et les analyses n'ont pas manqué ces dernières semaines. Face aux assurances des uns, les avertissements se sont multipliés d'autre part sur les capacités du pays et des entreprises publiques concernées à gérer ces dossiers, comme c'est le cas pour l'endettement. Une solution inéluctable pour bon nombre d'experts. «Considérant la consommation effrénée au niveau national, le recours à l'endettement est irréversible, d'autant plus que le très faible taux d'intégration de la production de la pièce de rechange de la turbine à gaz assuré par Algesco va précipiter l'entreprise Sonelgaz à recourir à l'endettement. Il y a lieu de préciser que ce n'est pas les 50 MW projetés dans l'apport éventuel assuré par l'énergie solaire qui changeront la donne. Tout retard se paye cash au moment même où les pays occidentaux diversifient leurs sources d'énergie», nous dira un ancien cadre du secteur de l'énergie. Du côté de Sonatrach, le recours à l'endettement paraît également inévitable d'autant que le maintien du plateau de production de 1,1 million de barils/j en pétrole et une production gazière de l'ordre de 130 milliards de m3/an, nécessitent selon les experts un investissement contenu dans le PMTE 2015-2019 de 90 milliards de dollars. Cela pour rappeler que les investissements dans l'industrie pétrolière sont extrêmement lourds. «Ce n'est pas sans raison d'ailleurs que l'option de recourir à des reprises des puits fermés pour diverses raisons techniques semble prendre un bon chemin car représentant les solutions les moins onéreuses. Quant aux investissements envisagés dans la mise en œuvre des techniques modernes de récupération secondaire pour toutes ces techniques, les résultats se font ressentir à moyen et long termes. Les dernières récupérations découvertes ou augmentations des capacités de production se sont faites surtout en association. Là aussi, il n'y a pas lieu de crier victoire, la part revenant à Sonatrach ne dépasse pas les 30% dans le meilleur des cas», estime encore notre interlocuteur qui pointera du doigt, dans le même sillage, la mauvaise stratégie de l'entreprise à ne pas anticiper sur la diminution drastique du gisement de Hassi-Rmel, connu pour être le plus grand d'Afrique, voire mondial. «Sinon, comment comprendre qu'aussitôt les boostings des unités terminés il y a de cela 8 ans qu'on pense déjà à la mise en place d'un boosting ?» s'interroge t-il. Ce sont autant de raisons qui expliquent les difficultés financières de ces deux entreprises et la nécessité d'aller vers l'endettement. Mais est-ce que les conditions s'y prêtent. Hypothèse peu réalisable «L'hypothèse est peu réalisable compte tenu de la mainmise de l'Etat sur les deux», répondra cet ancien cadre du secteur. «Les projets à financement international, comme tous les autres projets du reste, doivent tenir compte des effets sur la balance des paiements à moyen terme et sur la consolidation de l'indépendance économique», nous dira pour sa part l'économiste Ahmed Mokaddem, avant d'expliquer : «Cela dit, on peut distinguer deux types d'investissements : les investissements à risques tels que ceux relatifs à la prospection par exemple, et ceux à horizon économique mieux maîtrisé tels que les constructions de raffineries, de création des dérivés des hydrocarbures, des centrales électriques, etc.». Dans ce cadre, les entreprises candidates à l'endettement sont appelées à présenter un dossier de projet viable et nécessaire. «Il est impératif de suivre une démarche d'élaboration rigoureuse du projet d'investissement par des choix judicieux des différents taux d'actualisation et des outputs escomptés, du retour sur investissement, d'études rigoureuses microéconomiques et des marchés futurs. Pour ce qui est du financement, il est important de bien négocier les conditions de l'emprunt concernant le taux d'intérêt, les échéances et délais de remboursement, les garanties», poursuivra-t-il insistant sur la nécessité de privilégier au maximum la prise en charge financière du projet par l'entreprise de façon autonome et non par le budget de l'Etat. Pour Mohamed Chérif Belmihoub, si l'obtention d'un crédit extérieur pour Sonatrach s'annonce aisée, ce n'est pas le cas pour Sonelgaz : «Il faut que le Trésor se porte garant pour Sonelgaz. C'est l'impasse. L'endettement de Sonelgaz signifie l'endettement de l'Algérie, car cette entreprise intervient uniquement sur le marché national et sa rentabilité est limitée. Aussi, les prix sont gérés par l'Etat, donc sa marge de manœuvre est réduite.» Quid de l'impact du système de gouvernance de ces entités économiques publiques sur les chances d'obtention du crédit ? A ce sujet, M. Belmihoub notera que le problème se pose quand la recherche des financements se fait via les Bourses étrangères. Or, l'option n'est pas d'actualité. «Si l'option du marché boursier est privilégiée, l'obstacle sera là, car il y a tout un dossier technique à préparer (reporting, transparence, management…). Sur ces questions, les dysfonctionnements sont importants. De même qu'ils sont importants au plus haut niveau de la sphère économique. Car, même pour le recours à l'emprunt obligataire, la tâche ne s'annonce pas facile. Emprunt national : risques de change Les risques sont importants, selon un analyste financier de la Bourse de Paris. Pour ce dernier, l'emprunt national est soumis aux fluctuations des taux de change. Avec la dépréciation de la valeur de la monnaie nationale, le risque est élevé. En d'autres termes, la dépréciation du taux de change entraîne la baisse de la valeur de l'obligation. Il y a, en parallèle, le risque d'inflation à prendre en considération par les éventuels souscripteurs. Autant d'éléments qui pourraient réduire les chances de réussite de l'emprunt obligataire. Une situation qui pourrait orienter le choix vers l'endettement extérieur, même si officiellement cette solution est écartée pour l'heure. Mais dans les faits, cette piste est déjà en prospection. Certains ont expliqué la visite en Algérie du principal dirigeant d'une des plus grandes banques internationale, en l'occurrence le DG de Société Générale, Frédéric Oudea, en novembre dernier, reçu, pour rappel, par le Premier ministre, le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque d'Algérie par le lancement des pourparlers dans le cadre de cette recherche de financement extérieur. Mais avec quelles garanties ? Une question qui s'impose sachant que tout repose sur l'analyse de la situation économique, le rating et les capacités de reconversion de la dette. Généralement, selon les experts, les premiers lancements de programmes d'émissions de dettes sont de véritables tests de réussite des émissions qui vont suivre après. Comment cela se traduit-il ? «Avant de lancer un emprunt souverain, l'Etat choisit une banque accompagnatrice dans cette opération, notamment pour l'origination (solutions d'investissement en produits structurés de dettes), ensuite une possible syndication de plusieurs banques pour acheter sur le marché primaire cet emprunt et le distribuer, et enfin sa distribution sur le marché secondaire. Aussi, chaque pays ou corporates émetteurs de dette doit avoir un rating qui évalue sa situation financière, ses capacités de remboursement et ses probabilités de défauts», nous expliquera l'analyste financier. Ces probabilités sont, selon la même source, plus grandes si l'emprunt porte sur une longue durée. «Ce qui est normal puisque la finance n'est autre que la Valeur de l'Argent dans le Temps», nous dira-t-il. Pas de rating des grandes agences de notation Qu'en est-il du cas Algérie ? Justement, il n'existe pas de rating des grandes agences de notation que sont, à titre de rappel, S&P, Moodys et Fitch rating. La seule notation de l'Algérie est un BBB - (négatif) attribuée par Dagong (agence chinoise). Donc, si l'Algerie décide d'aller sur un emprunt extérieur, celui-ci se fera sûrement en TOC (gré à gré) sur des bailleurs publics internationaux ou le Fonds monétaire international (FMI), toujours selon notre analyste. Et pour cause, les conditions ne sont pas réunies à présent pour un endettement auprès des marchés mondiaux qui jugeront cet emprunt trop risqué, même si les grands assureurs recherchent en cette période de début de déflation en Europe une performance pour leurs portefeuilles. «Mais cette performance ne se fera pas aux dépens d'un risque excessif de défaut. Et c'est le cas de l'Algérie.»