Deux questions interpellent les observateurs locaux et internationaux en marge du congrès d'Ennahdha : l'impact pratique de la séparation entre le politique et le religieux et le niveau de mainmise de Ghannouchi sur son mouvement. Les travaux du 10e congrès d'Ennahdha débuteront demain. Ils devraient durer jusqu'à dimanche. Il y aura environ 1200 congressistes et près d'un millier d'invités, locaux et internationaux, dont le président de la République tunisienne, Béji Caïd Essebsi. Il est déjà clair que Rached Ghannouchi a la mainmise sur le congrès et qu'il n'y aura pas la moindre surprise concernant la direction du parti. Le président d'Ennahdha affirme d'ailleurs que «son mouvement deviendra un parti comme les autres», ce qui veut dire que la séparation entre le politique et le religieux est dès à présent acquise dans les motions discutées lors des préparatifs du congrès. Toutefois, ce qui retiendra particulièrement l'attention des observateurs, c'est la place du mouvement international des Frères musulmans dans ce congrès, ainsi que le rapport à certains groupes islamistes radicaux suscitant la polémique à l'échelle internationale. «Nous suivrons avec intérêt les rapports d'Ennahdha avec les disciples du groupe Ansar charia de Libye et d'ailleurs», souligne le politologue libyen Mustapha Younes, qui considère que «la parole ne suffit pas pour parler de rupture avec l'islam radical». Précisions de taille Les observateurs s'interrogent également pour savoir si le changement, annoncé par Ghannouchi, concernant «la séparation entre le politique et le religieux» impactera le paysage politique national et les activités sociales en rapport avec des polémiques, comme l'égalité entre l'homme et la femme. «Est-ce qu'on va continuer à voir des hommes et des femmes occuper des rangées séparées dans les meetings d'Ennahdha ?», s'interroge la députée Bouchra Belhaj Hamida. Pour cette avocate, ex-membre de Nidaa Tounes, le congrès d'Ennahdha a suscité une effervescence médiatique depuis la fixation définitive de sa date. «Les gens veulent voir de près ce qui pourrait vraiment changer, plus que ce qui l'a déjà été au sein du parti de Ghannouchi», constate-t-elle. Pour sa part, le politologue Slaheddine Jourchi rappelle que le 10e congrès d'Ennahdha se tient avec trois années de retard. En effet, lors du 9e congrès, tenu en juillet 2012, il avait été annoncé que le suivant serait organisé en 2013 et qu'on y révélerait les motions du parti, qui n'ont pas été adoptées lors dudit congrès. «Les travaux du 9e congrès s'étaient limités à élire le bureau exécutif du mouvement et les deux tiers du conseil de la choura. Le 3e tiers étant choisi par les deux tiers élus», explique Jourchi, pour qui le congrès de 2012 a été plutôt assimilé à un congrès constitutif des islamistes tunisiens. Trois années ont passé depuis ce 9e congrès et, surtout, une expérience de gouvernance de la troïka, où les islamistes tunisiens étaient au sommet du pouvoir en Tunisie. Mais, rien n'indique qu'une évaluation de l'expérience du pouvoir sera faite, lors de ce congrès. «Les années de clandestinité durant l'ère Ben Ali aussi n'ont pas été évaluées», note le politologue Jourchi. Direction et orientations Le congrès d'Ennahdha réunira certes 1200 congressistes, dont environ 200 viendront de l'étranger. Il y aura près de 1000 invités. Mais, au-delà du tapage médiatique et des festivités, y a-t-il de véritables courants et une réelle concurrence au sein du mouvement. A la question de plusieurs médias, dont El Watan, concernant l'existence d'autres candidats (à part Ghannouchi) à la présidence du parti, les responsables nahdhaouis s'esquivent d'une manière ou d'une autre. Les réponses sont généralement : «La démocratie veut qu'il y ait plus d'un candidat à la présidence d'un parti»; «Personne n'exercera de pression pour dissuader les éventuels candidats à abandonner tout projet de briguer le fameux poste»; ou «La réussite de l'expérience démocratique nationale passe inexorablement par la consécration de la pratique démocratique au sein d'Ennahdha», etc. La réponse de Samir Dilou, député et membre du bureau exécutif d'Ennahdha, donnée à la presse, résume tout : «Nous sommes obligés de démontrer à nos militants, d'abord, et aux Tunisiens ensuite, que la démocratie fait partie intégrante de notre comportement quotidien et les congressistes auront l'opportunité de discuter de tout. Il n'y a pas de non-dits ou de sujets interdits au sein d'Ennahdha, qui n'a rien à cacher. Quant à la multiplicité des candidatures à la présidence du parti, le premier à n'y voir aucun inconvénient, voire à l'encourager, c'est bien cheikh Rached Ghannouchi lui-même.» Concernant le projet d'Ennahdha d'islamiser la société tunisienne, le président du bureau politique Noureddine Arbaoui est on ne peut plus clair : «Nous n'avons jamais eu la prétention d'islamiser la société ou d'apprendre aux Tunisiens leur religion. La Tunisie est déjà, selon l'article 1er de la Constitution, un Etat dont la religion est l'islam et personne n'a le droit d'interférer dans la conscience des Tunisiens, qui n'ont aucune leçon à recevoir en matière de pratique de leur religion.» C'est ainsi que s'annonce le 10e congrès d'Ennahdha.