Le 10e congrès d'Ennahdha a confirmé le leadership de Rached Ghannouchi à la tête du mouvement. Ghannouchi est désormais le président du parti. Les choix politiques de réconciliation nationale et de séparation entre le politique et le religieux, prônés par Ghannouchi, ont été entérinés. Comme l'attendaient les observateurs, le 10e congrès d'Ennahdha a plébiscité Rached Ghannouchi et renforcé sa mainmise sur le mouvement islamiste, aussi bien sur le plan politique qu'organisationnel. Ainsi, Rached Ghannouchi a été élu président avec 800 voix, sur les 1058 votants (75,6%). Le rapport moral du mouvement, présenté par la direction d'Ennahdha au congrès et faisant le bilan de son action politique, a recueilli 814 voix favorables. Seuls 38 s'y sont opposées et il y a eu 100 abstentions. Les amendements du statut ont été votés par 878 voix favorables contre 14 oppositions et 19 abstentions. Seule, la manière de nommer le bureau exécutif n'a pas obtenu une telle majorité absolue. La décision stipulant que le président du mouvement choisisse les membres du bureau exécutif, dont la liste sera ultérieurement validée par le conseil de la choura, n'a obtenu que 58% de votes favorables. De nombreux congressistes nahdhaouis auraient souhaité une dose plus consistante de démocratie au sein de leur mouvement. Ils ont voté soit pour l'élection directe du bureau exécutif par le congrès, soit pour une option mixte, avec une partie élue directement par le congrès et une autre choisie par le président du mouvement et validée par le conseil de la choura. Spécialisation La question de séparation entre le politique et le religieux est qualifiée par la direction d'Ennahdha de «spécialisation». Les militants d'Ennahdha sont donc appelés à faire le choix entre la «filière» politique et religieuse, culturelle ou associative, selon les cas et les personnes. Cette «spécialisation» n'est pas immédiate et ne veut pas dire que la «filière» religieuse n'est pas présente dans le conseil de la choura. Loin de là, les deux ex-membres de l'Assemblée nationale constituante, symboles du courant radical, Habib Ellouze et Sadok Chourou, ont été élus respectivement aux 10e et 14e places, avant même le leader du mouvement, Rached Ghannouchi, élu à la 16e place. Cette spécialisation permet à Ennahdha, selon le politologue Slaheddine Jourchi, de brasser large. «D'une part, des associations, proches ou parrainées par Ennahdha peuvent véhiculer divers messages et développer des activités et des recherches dans nombre de domaines qu'un mouvement politique ne peut s'y intéresser pleinement. D'autre part, la branche politique peut avoir les mains plus libres pour œuvrer de manière plus pragmatique que ne le font Ennahdha et son conseil de la choura d'aujourd'hui», explique-t-il. Toutefois, remarque le doyen de la faculté des lettres de la Manouba, Habib Kazdaghli, dans une intervention sur Radio France Culture : «Le parti gardera tout de même un ADN religieux et toute la symbolique que revêt son ‘‘gourou'' Rached Ghanouchi et son conseil de la choura.» Il est vrai que plusieurs dirigeants comme l'ancien vice-président, Abdelhamid Jelassi, le membre du bureau politique, Abdellatif Mekki, ont insisté sur le fait que «l'islam reste une référence fondamentale pour le mouvement». Il est vrai aussi que l'autre dirigeant du mouvement, Rafik Abdessalem, a dit qu'Ennahdha «ne fait pas partie de l'organisation des Frères musulmans et qu'il s'agit d'un parti exclusivement influencé par son appartenance et son identité tunisiennes». A la question de savoir si Ennahdha a opté pour la séparation du politique du religieux comme un recul tactique ou stratégique, tous les dirigeants nahdhaouis ne la voient pas comme un recul mais, plutôt, un développement dans l'activité du mouvement. «J'ai appelé à cette division des tâches depuis plusieurs années», a dit Habib Ellouze. «Cela ne saurait que nous aider à toucher davantage de personnes», a-t-il ajouté. Son de cloche similaire du côté du porte-parole du 10e congrès, Oussama Seghaier : «La séparation entre le politique et le religieux ouvre de nouveaux horizons au mouvement Ennahdha, avec la spécialisation des compétences dont recèle le mouvement.» Pour le politologue Slaheddine Jourchi, cette «spécialisation» est plutôt le résultat du bilan de l'expérience de la troïka et de l'échec de la gouvernance d'Ennahdha. Jourchi pense également que «les islamistes se préparent aux prochaines élections municipales et veulent brasser le plus large possible à travers les organisations de la société civile».