Coup de théâtre au tribunal de Sidi M'hamed, devant lequel, Mohamed Talmat, journaliste freelance, avait été déféré, après avoir été placé sous mandat de dépôt, le 27 juin dernier, à la suite d'une comparution immédiate pour «outrage au Président et aux institutions de l'Etat». A l'origine de cette autosaisine du parquet, un poème sur le Président diffusé, à travers un enregistrement vidéo, publié sur son compte facebook. C'est dans son quartier à Bachdjerrah, à l'est de la capitale, que Mohamed Talmat a été arrêté par des agents en civil, puis déféré, en fin de journée, devant le juge, qui l'a placé sous mandat de dépôt, en vertu des nouveaux articles du code de procédure pénale 144 bis et 146, qui stipulent clairement que pour de tels délits, la sanction se limite à des amendes. Hier, ses avocats, Mes Amine Sidhoum, Benissad et Hassani, n'ont pas mis de gants pour dénoncer cette «bavure». «Nous sommes devant une comparution immédiate qui ne prévoit pas de peine privative de liberté. Que fait le prévenu en prison depuis le 27 juin ? Il doit être immédiatement libéré. C'est une détention arbitraire. Il doit être jugé en liberté», lance Me Sidhoum. La juge se tourne vers le procureur qui lui demande de joindre la demande au fond du dossier. La magistrate se retrouve dans l'embarras. Comment une telle erreur judiciaire a-t-elle pu être commise ? L'avocat s'insurge : «Madame la juge, il y a une grave violation de la loi. Le prévenu ne peut pas être jugé en étant en détention. Il faut trouver une solution pour réparer cette irrégularité.» La présidente réfléchit un moment, puis déclare : «Je ne sais pas s'il y a une disposition qui prévoit ce qu'il faut faire.» L'avocat continue à dénoncer la détention de son mandant : «Nous n'avons pas à discuter des libertés fondamentales des citoyens. Le prévenu est illégalement en prison depuis presque une semaine. Il a été présenté ici même par 11 éléments du DRS, alors que ce département a été dissous. Le rapport de l'enquête préliminaire porte l'entête de ce service, alors que pour tous il n'existe plus. Cette affaire concerne des amendes et rien que des amendes. Que fait le prévenu en prison depuis le 27 juin ? Nous ne pouvons pas accepter de telles dérives. Il faut réparer cette catastrophe que nous ne pouvons cautionner.» La juge semble désemparée. Me Benissad abonde dans le même sens et refuse lui aussi de «cautionner une telle violation» et exige une solution : «Nous voulons que le prévenu quitte le box pour rejoindre la barre et être jugé en liberté…» Très mal à l'aise, la juge se donne un temps de réflexion, demande le code de procédure pénale, que le greffier lui remet et finit par lever l'audience pour délibérer. Après plus d'une heure d'attente, elle revient et décide de joindre l'examen du point de la forme à celui du fond. Les avocats contestent énergiquement. Ils refusent que leur mandant soit jugé en détention. Ils décident de se retirer de l'audience en signe de protestation. La juge demande au prévenu s'il veut être jugé. «Je refuse d'être jugé sans mes avocats. Cela fait trois jours que je suis en grève de la faim. Je vous tiens responsable de tout ce qui peut m'arriver en prison», lance Mohamed Talmat à la présidente. Elle insiste et le prévenu maintient sa décision. La juge demande au greffier de prendre acte de cette position et annonce le renvoi de l'affaire au 11 juillet. Mohamed Talmat doit donc retourner à la prison d'El Harrach, où il est maintenu en détention en violation des articles 144 bis et 146 du code de procédure pénale, pour lesquels il est poursuivi.