Pierre Vermeren, spécialiste du Maroc, explique que la question sociale est un facteur à prendre en compte pour expliquer l'actuelle explosion de colère, indiquant que les seules ressources dont bénéficie la région «sont l'argent de l'émigration, de la contrebande et la culture et le trafic de haschich». Malgré l'arrestation de Nasser Zefzafi, le leader du mouvement Hirak Errif, la contestation ne faiblit pas dans le Rif marocain, où plusieurs milliers de personnes ont une nouvelle fois manifesté pacifiquement, mardi soir, contre l'«injustice» et la «marginalisation». Les manifestants ont exigé également la libération Nasser Zefzafi, arrêté lundi par la police pour «atteinte à la sécurité intérieure». C'est aux cris de «Pacifique», «Nous sommes tous Zefzafi», «Dignité pour le Rif» et «Etat corrompu» que les protestataires ont envahi les rues proches du centre-ville d'Al Hoceima après la rupture du jeûne. Selon des médias présents sur place, «ils étaient plus nombreux que la veille à descendre dans le quartier Sidi Abed, où les forces antiémeute avaient pris position en grand nombre». La manifestation s'est finalement dispersée peu avant minuit sans incident. D'après des images diffusées sur les réseaux sociaux, d'importantes manifestations ont eu lieu également dans d'autres localités de la province, comme ce fut le cas à Imzouren et Beni Bouyaach. La contestation a touché aussi les grandes villes du royaume. A Rabat, un sit-in d'environ 200 personnes devant le Parlement a été violemment dispersé par les policiers. Scénario analogue à Casablanca, à proximité de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ), où Zefzafi a été transféré. Les autorités marocaines craignent visiblement le phénomène de contagion, surtout que le contexte social est tendu dans plusieurs régions du pays. La peur de la contagion L'ancien porte-parole de Mohammed VI, Hassan Aourid a pointé, dans un article publié cette semaine sur le site Al Aoual, «les erreurs et les tergiversations de l'Etat quant à la prise en considération de la situation économique, sociale et culturelle qui prévaut dans cette région depuis longtemps». Qualifiant de «légitimes les revendications des Rifains», il a estimé nécessaire «d'amorcer un dialogue franc dans un climat de sérénité». Pour lui, cela «passe par la libération de tous les détenus et la levée de toutes les poursuites, puisque ces individus ont exprimé des revendications sociales et politiques et ne sont en aucun cas des criminels».M. Aourid a insisté sur le fait, en outre, que «dans un Etat qui se veut démocratique et moderne, il ne faut en aucun donner la primauté au sécuritaire aux dépens de la loi et de la justice». Une partie de la classe politique marocaine partage ce point du vue. Les antennes à Al Hoceima de trois partis, dont celle du PJD au pouvoir, ont d'ailleurs publié un communiqué commun, s'alarmant d'une «situation grave» et désapprouvant «l'approche sécuritaire de l'Etat». A la question de savoir si l'arrestation des leaders du mouvement Hirak Errif peut porter un coup d'arrêt à la contestation qui dure depuis plus de 6 mois, le chercheur Pierre Vermeren, de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a fait remarquer, dans un entretien accordé mardi au quotidien français Libération, que les autorités marocaines ont choisi d'effectuer leur coup de filet au premier jour du Ramadhan, un mois de nervosité propice aux débordements. «Je vois deux scénarios possibles. Privé de ses meneurs, le mouvement peut doucement s'essouffler. Ou au contraire, il peut déraper et basculer dans la violence. Au moindre incident, la situation peut dégénérer. Depuis toujours, le palais surveille le Rif comme le lait sur le feu», avertit-il. Pierre Vermeren rappelle que «la province est hyper-militarisée». Le spécialiste français du Maroc note que «pour l'instant, la mobilisation reste cantonnée à Al Hoceima, qui est somme toute une petite ville de province», estimant toutefois que «si elle devait s'étendre aux grandes villes du Nord, en particulier Nador, peut-être trois fois plus grande et mal contrôlée par la police, les autorités commenceraient à paniquer». «Hassan II a puni le Rif» Pierre Vermeren souligne que la question sociale est un facteur à prendre en compte pour expliquer l'actuelle explosion de colère, indiquant que les seules ressources dont bénéficie la région «sont l'argent de l'émigration, de la contrebande, et la culture et le trafic de haschich». Pour le chercheur français, la responsabilité de la situation actuelle incombe en premier lieu à Hassan II qui a privé de manière systématique le Rif de programmes de développement. «C'est en grande partie de la responsabilité de Hassan II, car après la Révolte du Rif de 1958-1959 et sa répression extrêmement brutale, le roi a puni la région pour avoir osé se soulever contre l'Etat marocain. Il ne s'y est pas rendu une seule fois, il ne lui a laissé aucun investissement. La seule porte de sortie, c'était la culture du kif, dont le privilège avait été accordé par le père de Hassan II aux Rifains», indique-t-il. Pierre Vermeren révèle en outre que «le trafic va croître, l'implantation va devenir gigantesque : il y a aujourd'hui des dizaines de milliers d'hectares, qui nourrissent 800 000 paysans».