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Dans l'antichambre du pouvoir en Algérie (III)
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Publié dans El Watan le 25 - 08 - 2017


Dr Mourad GOUMIRI
Professeur associé
Le niveau du taux d'abstention aux législatives algériennes de mai 2017 n'a jamais été aussi élevé, certains (1) avancent même le taux de… 90%, alors qu'aux dernières législatives il avoisinait les 80%, le Conseil constitutionnel, pour sa part, l'a situé autour de 57% !
Cette fois, seuls environ 10% des inscrits se sont rendus aux urnes pour voter (2) pour une offre politique partisane pleine de promesses surréalistes, de projets débiles et de rêves délirants, soutenue par la douzaine partis politiques engagés dans la campagne, c'est-à-dire susceptibles de recevoir ces voix. Mais en fait, la victoire écrasante de l'abstention est surtout due à la conviction profonde des électeurs que les jeux étaient faits, en dehors des urnes, par le biais d'une fraude massive et la corruption (3).
L'allocation des quotas de députés à chaque parti politique entrera dans la stratégie de construction de la nouvelle «majorité parlementaire coalisée», susceptible, le moment venu, de soutenir le candidat du pouvoir, dans la désignation élective de 2019. Cette construction ne doit pas permettre à un parti de truster une large majorité de leadership (4) qui pourrait peser sur les prochaines présidentielles, d'une manière ou d'une autre, mais créer un équilibre majoritaire instable, entre le FLN, le RND et les islamistes ablutionnés, plus facile à redresser en cas de besoin.
Pour la consommation régionale et internationale, notamment française (5), la crédibilité relative du scrutin passe par la participation des partis «alarme» (le FFS, le RCD et le PT), qui, en plus de leurs propres voix, seront crédités d'un quota représentatif, mais non politiquement significatif, qui devrait se situer entre le nombre minimal de députés, exigé pour la formation d'un groupe parlementaire et l'impossibilité d'une coalition de blocage du Parlement par l'opposition.
Enfin, pour le reste des partis personnalisés, les quotas seront distribués individuellement, autant que de besoin et en fonction de la proximité des cercles concentriques de la famille régnante, des moyens financiers investis pour l'achat d'un mandat (6) et de l'obséquiosité de chacun d'eux sur cette scène d'ombres chinoises.
Pourtant l'administration a été instruite de ne lésiner sur aucun moyen pour inciter les électeurs à s'inscrire sur les listes électorales et à fréquenter les bureaux de vote, compte tenu du peu d'enthousiasme ressenti par le corps électoral, plus soucieux à tenter de remplir son couffin en produits alimentaires, dont les prix se sont envolés, que d'écouter les discours truffés de promesses débiles tenus par les postulants à la fonction de «dibiti».
L'ombre de la fraude électorale, non démontrable par définition, planant sur le scrutin, l'abstention va devenir le seul garant de la crédibilité du scrutin et va donc angoisser le pouvoir qui lancera une campagne hystérique contre toutes les voix qui plaident pour elle, en la considérant comme un acte hautement politique de discrédit du pouvoir, comme A. Benflis s'égosille à le distiller. En effet, l'abstention, contrairement à la fraude, est plus facile à percevoir, à déceler et à apprécier (7) et se transforme rapidement en un signal politique fort, de la société en direction du pouvoir, quel que soit, par ailleurs, le résultat du scrutin que l'on sait préfabriqué. En termes d'axes de mobilisation, le pouvoir a toujours surfé sur le problème sécuritaire, et ces dernières années,
il a tiré profit de l'instabilité internationale et régionale, induite par le «printemps arabe» régnante dans les pays voisins, notamment en Tunisie, en Syrie, en Egypte ou en Libye. Cependant, auparavant, l'«ingénierie électorale» était entre les mains de l'appareil du général de corps d'armée M. Mediene et de sa toile d'araignée appelée le DRS qui a accumulé une longue expérience dans cet exercice. Pour cette consultation, l'argument sécuritaire, les représailles matériels et pécuniaires et l'ingénierie DRS, ne sont plus de mise, ce qui va renforcer le rejet par la population du pouvoir à travers l'abstention ! Faut-il ajouter l'incompétence généralisée des nouveaux appareils et des personnalités chargées de la mise en œuvre et pour boucler la boucle ? Les différentes consultations électorales ont monté des transformations sociétales des prétendants à la députation (8) et en même temps, du corps électoral qui va considérer que le taux de participation devient l'arme ultime à laquelle il a recours, pour montrer et démontrer son rejet du système, sans craindre de représailles mais en indiquant clairement que la patience a des limites supportables, avant la rupture de la paix sociale.
D'ailleurs, les réseaux sociaux ont compris très rapidement l'enjeu et se sont lancés dans une campagne de promotion de l'abstention digne et très professionnelle, que la population apprécie à sa juste valeur. En outre, ils ont dénoncé la fraude massive, les saccages des bureaux de vote et les incidents sanglants entre protagonistes (9).
Pourtant, l'enjeu des élections législatives a été neutralisé, dès le début du mandat présidentiel en 1999, du fait de l'utilisation abusive et systématique de l'ordonnance, comme instrument législatif, pour minimiser le pouvoir des deux chambres, puisque les ordonnances présidentielles sont prises en intersession et adoptées en séances plénières… sans débat. Force est de constater que les lois les plus sensibles et les plus controversées (lois de finances et celles complémentaires (10), loi sur les hydrocarbures, loi sur le code des investissements, celui de la famille…) ont été adoptées à travers la procédure de l'ordonnance et entérinées par les deux Chambres. Seules les lois n'ayant pas d'enjeux politiques sont présentées aux pouvoirs législatifs pour débat et adoption, sans que, pour autant, les propositions d'amendements des députés et sénateurs ne soient pris en compte par le gouvernement qui reste le maître du jeu parlementaire, en flagrant délit du principe démocratique de séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. A l'évidence, ces législatives entrent dans le cadre de la succession du Président elliptique. Le pouvoir législatif peut être amené à légiférer sur les conditions particulières de la succession. Faut-il rappeler le déverrouillage de la Constitution pour permettre le troisième mandat et ensuite le retour à deux mandats !
Que va-t-il donc se passer pour ce vote qui, de l'avis de tous les analystes honnêtes, est considéré comme sans enjeu de transformations politiques structurelles (11), ait autant mobilisé le pouvoir, tous clans confondus, pour un «vote massif» ? Les janissaires patentés du pouvoir, comme A. Ouyahia, A. Sellal, D. Ould Abbès et les «sanafirs», sont instruits pour programmer des meetings «sur le terrain» pour tenter de convaincre le corps électoral de voter avec un discours récurrent qu'ils distillent, construit autour de «la stabilité» du pays. Ils caressent le rêve, non avoué, de faire partie des candidats potentiels à la succession du Président elliptique, anticipée ou à terme mais ne soupçonnent pas du tout qu'ils ne sont inscrits dans aucun agenda ni national ni international, puisqu'ils ne serviront que comme fusible du pouvoir au cas où la paix sociale est rompue normalement ou artificiellement (12).
Ils seront, alors tous livrés en pâture à la vindicte populaire, qui sera certainement nourrie par ce même pouvoir, en arguments probants, pour dénoncer leur incompétence et donc leur culpabilité devant une «cour populaire» préemptée ! Le candidat, non encore déclaré (13), considère, pour sa part, comme obligatoire le contrôle du pouvoir législatif et les partis majoritaires qui le composent, pour le soutenir le moment venu, même si pour cela des « redressements » à leur tête s'avèrent nécessaires ! Le partage de la majorité des mandats entre le FLN et le RND, va permettre de créer un équilibre instable qui servira le moment venu de mettre en œuvre le processus de succession présidentielle. Nous sommes donc très loin d'un compromis politique, négocié avec les forces politiques et sociales, pour la construction d'une assemblée constituante, seule capable de rendre crédible les consultations populaires et la fondation d'un état moderne, dans la paix sociale et loin de toutes les violences. Nous nous acheminons plutôt vers un schéma classique de passation de pouvoir entre clans aux appétits féroces et prêts à utiliser toutes les violences pour maintenir intact leurs privilèges déjà acquis et à ceux futurs.


Références
(1) Fautes de sondages scientifiques indépendants et de statistiques fiables, la plupart des appréciations du taux de participation se construisent sur le nombre de personnes que l'on voit s'agglutiner ou pas, dans les écoles utilisées pour abriter le scrutin.
(2) Le pouvoir affiche, via l'administration, un taux de participation de plus de 40%, puisqu'en l'espace de trois heures, de 14h à 17h, ce taux passe de 15,58 à près de 34%! Un sondage d'Al Jazeera nous révèle une participation moins de 16%.
(3) Z. Sekfali affirme qu'«il y a ce constat terrible que chacun a pu faire : l'argent est partout et pourrit cette élection... Il faut dénoncer ce mal politique absolu et clouer au pilori, sans faiblesse ni pitié, tous les porteurs de «chkara» qui vendent et achètent les électeurs, les faveurs des chefs de parti pour avoir le meilleur rang ou la bonne place sur la liste des candidats » !
(4) Tout le monde se souvient de la séquence de la coalition qui s'est rendue à Saint Egidio avec notamment le SG du FLN, A. Mehri. Cette situation non anticipée avait conduit le général M. Betchine à créer, ex nihilo, le RND, mis entre les mains de T. Benbeibèche, pour contrecarrer cette démarche politique !
(5) L'électorat algérien en France totalise 763.771 personnes, qui devront choisir 4. Les médias relèvent que le vote aura lieu durant trois jours, les samedi 29 et dimanche 30 avril, ainsi que le jeudi 4 mai de 8h à 19h. L'accent est mis sur le spectre de l'abstention. «Chez les jeunes surtout, il y a un grand désespoir.» «Des élections sans enjeu majeur et pour lesquelles les Algériens ne semblent pas montrer de l'intérêt.» «Les observateurs ne croient pas que les élections de jeudi prochain peuvent offrir une carte politique nouvelle.»
(6) L'intrusion de l'argent sale dans les élections n'est pas nouvelle mais pour ces législatives elle est flagrante puisque le secrétaire général du FLN, D. Ould Abbès ne nie que ses enfants ont été pris par les services de sécurité en possession d'importantes sommes d'argent liées aux marchandages de places dans les listes électorales.
(7) Lors de l'élection de L. Zeroual, certains avaient déduit, en Algérie et à l'étranger, notamment en France, que ce scrutin était crédible du fait du taux de participation très élevé et du nombre important d'électeurs qui se sont rués vers les bureaux de vote. Ce taux de participation a longtemps servi de légitimité à son pouvoir, quel que soit, par ailleurs, le résultat !
(8) Selon N. Djabi «nous sommes en présence d'un nouveau profil politique qui n'aspire pas à représenter les citoyens... mais d'avoir une immunité, une proximité avec la rente et les centres de décision au niveau central».
(9) Les vidéos filmées par téléphones portables et partagées sur les réseaux sociaux montrent des fraudes massives par une panoplie de subterfuges ; bourrages des urnes, manipulations des listes électorales, falsification des PV comme par exemple à Aïn Mlila, à Oran, à Ouargla, à Bir El Atter.…
(10) Le plus grand hold-up commis par le pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif, c'est d'avoir présenté le montant des recettes pétrolières dans les différentes lois de finances, calculées sur la base d'un baril à 19 US$ (puis à 39 US$) alors qu'il caracolait plus de 140 US$ ! La différence avait été affectée à un compte spécial du trésor, dénommé Fonds de régulation des recettes (FRR) qui est mouvementé uniquement par décret présidentiel, en violation des règles élémentaires de la loi relative à la comptabilité publique.
(11) N. Djabi considère que «les élections n'opèrent pas de changements profonds sur la carte politique algérienne. Elles produisent une stagnation, alors que le pouvoir politique veut faire croire à une stabilité».
(12) L'histoire réelle des émeutes d'octobre 1988 n'a pas révélé toutes ses collusions profondes et cachées, mais force est de constater que le blocage politique, à cette époque, a été dépassé grâce à une «révolte populaire programmée» qui a donné un avantage déterminant à un clan du pouvoir par rapport à un autre, sans pour autant, que la question de l'exercice du pouvoir n'ait été réglée mais simplement reportée.
(13) N. Beau considère que «le frère du président Bouteflika, Saïd Bouteflika, dont les ambitions sont de plus en plus palpables, s'est prononcé pour une alliance entre les deux principaux partis algériens, le FLN et le RND… Du côté de l'état-major de l'armée, où Saïd Bouteflika n'est pas en odeur de sainteté, on se montre extrêmement sceptique sur une telle union nationale… Pour A. Sella, son cœur balance entre l'armée et la Présidence… il semble se rapprocher plutôt des militaires… Une certitude, la fraude reste en Algérie un sport national ».


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