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Dans l'antichambre du pouvoir en Algérie (partie 4)
Dr Mourad Goumiri. Professeur associé
Publié dans El Watan le 08 - 09 - 2017

La crucifixion du Premier ministre, A. Sellal, par le clan présidentiel et ses philistins, conforte nos précédentes analyses, plusieurs fois répétées, selon lesquelles, cette personnalité haute en couleur, ne représente pas un réel challenger(1) pour les clans du pouvoir qui ont entamé le processus de la succession présidentielle.
Il faut chercher l'explication dans la distribution des rentes qu'il s'est permis d'affecter, gavant un clan plus que de mesure, via notamment son ministre de l'Industrie et des Mines A. Bouchouareb et le président du FCE(2). D'une pierre deux coups, A. Sellal étant entarté, il ne reste plus qu'à solder les comptes avec A.
Ouyahia(3), via sa fin de fonction au poste de directeur de cabinet à la présidence de République puis de son «redressement» pour fin de bail de secrétaire général du RND, instrument politique unique dont notre pays est le géniteur exclusif ! D'autant qu'il vient, encore une fois, à la conférence de presse clôturant la session du conseil national du RND du 11 juin 2017(4), de faire allégeance à son parrain, en déclarant, toute honte bue : «Cela ne me dérange pas. Je suis heureux et honoré de servir le p de la République», au lieu d'affirmer qu'il sert l'Algérie, comme tout homme politique digne aurait naturellement soutenu.
Mais dans le même temps, il donne des signes à l'Union européenne et aux Etats-Unis en tenant un discours raciste et xénophobe en direction des migrants africains(5). Dans les deux cas, il s'installe définitivement dans une posture de second rôle et s'exclut, lui-même, d'une succession présidentielle dont il rêve debout, en se regardant «le matin devant son miroir» ! La désignation d'A.
Tebboune(6) au poste de Premier ministre, annoncée depuis plusieurs semaines, dans une de mes précédentes contributions, va permettre, à la fois, de rééquilibrer la distribution des rentes entre les clans du pouvoir mais également de délimiter le rôle de chacun et notamment celui des «nouveaux riches» qui s'investissent en politique, souhaitant ainsi s'affranchir de leurs tuteurs politico-militaires. Pour son premier discours devant les députés, A. Tebboune(7) dresse les frontières en déclarant : «On va séparer entre l'argent et le pouvoir», ce qui représente une menace doublée d'une injonction pour un retour à l'ordre pour chacune des parties.
Enfin, il lance surtout l'opération de préparation d'un «terrain économique propice»(8) pour la mise en œuvre du processus de succession présidentielle, en gestation. Instruit par la Présidence, il est contraint au recours et à la promotion des financements «internes non conventionnels», euphémisme trouvé pour mettre en œuvre une politique de financement monétaire, par l'injection massive de dinars(9), sans contreparties réelles.
L'institut d'émission fera tourner à fond la planche à billets pour renflouer les banques commerciales via le refinancement généreux de la Banque d'Algérie. Cette fuite en avant, caresse le rêve caché d'un renversement de la conjoncture sur le marché international de l'énergie (les prix sont actuellement inférieurs à 50 dollars le baril) et un retour à l'abondance budgétaire factice, générée par la rente et non par la production de biens et services(10).
Sur le registre politique, les mêmes fausses promesses sont resservies comme «le renforcement de l'Etat de droit, des libertés et de la démocratie, la consolidation de la bonne gouvernance, la promotion de l'identité nationale, la lutte contre la corruption(11) …», contenues dans le discours du Président d'avril 2011. En attendant des temps meilleurs, il est de plus en plus difficile(12) de masquer l'image sanitaire invalidante du Président, ce qui soulève des doutes sur ses capacités à assurer ses fonctions régaliennes(13), tant au niveau national qu'international(14).
Le pouvoir a donc puisé dans la boîte à outils de l'ENA et choisi un de ses produits, formatés dans le profil d'un homme-lige, corvéable, interchangeable et fragilisé par son parcours, afin qu'il exécute, à la lettre, toutes les instructions et en même temps qu'il serve de fusible, dans le cas, très probable, de troubles sociaux. En effet, le pouvoir n'hésitera pas une seconde à tout lui faire endosser et à le livrer, pieds et poings liés, à la vindicte populaire, les années 2017 à 2019 se présentant sous de très mauvais augures.
Dès lors, l'accélération du processus de passation de pouvoir, entre les clans, devient d'une nécessité vitale pour sa pérennité et d'une exigence prioritaire, pour éviter une rupture de la paix sociale dévastatrice. Nous allons donc assister aux grandes manœuvres de la guerre, après que l'ordre du jour ait été lancé par un clan qui compose le pouvoir réel, obligeant le clan du statu quo à jouer sa dernière carte(15) afin de maintenir en l'état la situation actuelle, du moins, jusqu'à avril 2019.
Les arguments de stabilité et de sécurité du pays, développés par le clan présidentiel, ont vécu et ils se sont mêmes retournés contre leurs propres promoteurs, puisque tous les instituts internationaux d'analyses politiques influents et les chancelleries des pays qui pèsent dans l'échiquier algérien, sont unanimes à affirmer que la dilution du pouvoir entre plusieurs clans engendre une situation chaotique porteuse «d'instabilité et d'insécurité dans notre pays et dans la région...».
Ce qui signifie, en clair, que ce n'est donc ni la rupture de la paix sociale(16), ni le risque terroriste(17) et encore moins la «main extérieure»(18) qui menacent la stabilité et la sécurité de l'Algérie, mais bien l'absence sanitaire, longue de cinq ans, du président de la République(19) et sa conséquence directe, à savoir son incapacité présumée à prendre des décisions et à assurer ses fonctions régaliennes(20).
Le rejet des élections législatives par une large majorité d'électeurs est démontré par la victoire massive de l'abstention, qui, contrairement à la fraude, est plus facile à percevoir, à déceler et à apprécier(21) et se transforme rapidement en un signal politique fort de la société en direction du pouvoir, quel que soit, par ailleurs, le résultat du scrutin que l'on sait préfabriqué.
L'entrée en lice des réseaux sociaux va permettre au corps électoral de prendre conscience que l'abstention devient l'arme ultime à laquelle il peut avoir recours, pour montrer et démontrer son rejet du système, sans craindre de représailles, mais tout en indiquant clairement que la patience populaire a des limites supportables, avant la rupture de la paix sociale et donc de l'aventure...
Pour le reste et comme planifié préalablement, le FLN et son excroissance le RND ont obtenu la majorité absolue des sièges de ce scrutin, le FLN avec 160 sièges (perdant 60) et le RND 101 sièges (gagnant 33), totalisant 261 sièges des 462 possibles. La mouvance islamiste vient en troisième position, avec entre 70 et 80 sièges.
Il est significatif de noter que 39 sièges ont été distribués aux autres clients du pouvoir en guise de récompense(22). Les partis indépendants ont obtenu 14 sièges pour le FFS, 11 pour le PT et 9 pour le RCD. Enfin, les partis tiroir-caisse, comme le Front El Moustakbal, TAJ ou le MPA, sont gratifiés de respectivement 20, 19 et 13 sièges.
En fait, le pouvoir a pris bonne note, qu'officiellement 35,3% seulement du corps électoral a voté, avec «falsification des PV et bourrage des urnes», dénoncés par certains partis(23). Il est admis, officieusement, que seuls 10% des électeurs sont allés voter et que le véritable vainqueur est le boycott, ce qui conforte les partis qui ont appelé au boycott, comme Jil Jadid et Talaie El Hourriyet…
Il faudra s'en souvenir pour la prochaine étape. Les législatives de 2017 ont donc clairement démontré que l'abstention (24) a constitué officiellement plus de 65% (officieusement le chiffre affolant de 90% est avancé) du corps électoral, soit un potentiel de 15 millions d'électeurs, non structurés et sans parti formel, qui ne demandent qu'à être mobilisés.
L'allocation des quotas de députés, pour chaque parti politique, entre dans la stratégie de construction de la nouvelle «majorité parlementaire coalisée», susceptible, le moment venu, de soutenir le candidat du pouvoir, dans la désignation élective présidentielle de 2019. Cette construction ne doit pas permettre à un parti de truster une large majorité de leadership(25) qui pourrait peser sur la prochaine présidentielle, d'une manière ou d'une autre, mais créer un équilibre majoritaire instable, entre le FLN, le RND et les islamistes ablutionnés, plus facile à redresser en cas de besoin.
Pourtant, une analyse approfondie nous montre que les élections législatives ont été neutralisées, dès le début du mandat présidentiel, en 1999, du fait de l'utilisation abusive et systématique de l'ordonnance, comme instrument législatif, pour minimiser le pouvoir des deux Chambres, puisque les ordonnances présidentielles sont imposées par le président de la République, en intersession et adoptées, par les deux Chambres parlementaires, en séances plénières… sans débat.
Force est de constater que les lois les plus sensibles et les plus controversées (lois de finances et celles complémentaires(26), loi sur les hydrocarbures, loi sur le code des investissements, celui de la famille…) ont été adoptées à travers la procédure de l'ordonnance et entérinées par les deux Chambres.
Seules les lois n'ayant pas d'enjeux politiques sont présentées aux pouvoirs législatifs pour débat et adoption, sans que, pour autant, les propositions d'amendement des députés et sénateurs ne soient prises en compte par le gouvernement qui reste le maître du jeu parlementaire, en violation flagrante du principe démocratique de séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Dans le domaine de la gouvernance, c'est la non-gestion(27) qui caractérise les équipes gouvernementales qui se succèdent, ce qui menace les fondements sur lesquels le système redistributif est construit.
Cette forme exacerbée de populisme ruine toutes les politiques économiques et sociales, construites pour tenter de sortir de l'économie de rente, qui consiste à dépenser des ressources financières rares qui ne sont pas générées par la production nationale mais essentiellement issues de la rente des hydrocarbures… lorsque le marché international le permet ! Le retournement à la baisse durable du marché des hydrocarbures va donc créer un gap entre la volonté populiste de maintenir le système rentier en l'état et l'impossibilité financière de rétablir les équilibres macrofinanciers.
Enfin, la corruption est devenue, en Algérie, une catégorie économique courante qui entre de plain-pied dans le calcul économique et sa logique s'installe dans les mœurs économiques et financières de notre pays, autorisant des concentrations de richesses colossales et une généralisation de sa pratique, à tous les secteurs et à toutes les institutions, phénomène appelé, non sans humour, la «démocratisation de la corruption».
La traduction politique(28), de cette situation économique, est l'émergence d'une classe de «nouveaux riches»(29) qui, après avoir accumulé d'énormes richesses, de provenances douteuses, voire mafieuses, prétend s'émanciper de leurs protecteurs civils et militaires et conquérir directement le pouvoir politique(30) ! Les différentes consultations électorales ont montré des transformations sociétales des prétendants à la députation, comme le souligne N. Djabi : «Nous sommes en présence d'un nouveau profil politique qui n'aspire pas à représenter les citoyens... mais d'avoir une immunité, une proximité avec la rente et les centres de décision au niveau central.»
Ce nouvel intrus politique (appelé oligarque dans certains pays), dans la «zaouïa républicaine» créée par le clan présidentiel depuis 1999, exige, aujourd'hui, le droit de partager le pouvoir et de participer aux décisions politiques majeures subséquentes, de manière à séculariser sa situation de rentier et de la défendre le plus longtemps possible, pour ne jamais avoir à rendre des comptes, à quiconque, sur l'origine douteuse de sa richesse(31). Ce qui est certain, c'est que le pouvoir actuel ne pourra plus contrôler une autre explosion sociale sauf à prendre le risque d'un nouveau bain de sang, aux conséquences incalculables, qui devra, obligatoirement, passer par l'engagement, une fois de plus, de l'institution militaire(32) !
Il se doit donc de composer avec cette nouvelle donne politique, ce qui retarde la décision de succession, faute d'un consensus. En apparence, la solution semble très simple, puisqu'il s'agit uniquement du «remplacement» du Président elliptique(33), processus technique très usité dans nos mœurs politiques(34), à condition, bien sûr, qu'un clan du pouvoir se sente suffisamment puissant pour prendre l'initiative d'écarter l'autre clan, avec l'«autorisation» du ou des chefs de l'institution militaire(35).
Nous nous acheminons donc vers un schéma classique de passation de pouvoir entre clans aux appétits féroces et prêts à utiliser tous les moyens, y compris la violence, pour maintenir intacts leurs privilèges, ceux déjà acquis et ceux futurs. Le successeur caché ne fait très certainement pas partie de la liste des hommes politiques(36) que la presse cite, à satiété (souvent encouragée par les prétendants eux-mêmes et par le pouvoir pour amuser la galerie), question de se faire rappeler au bon souvenir des décideurs, exhibant, toute honte bue, leurs «faits d'armes» dans l'obséquiosité et la servitude, vis-à-vis des différents clans du pouvoir.
La traîtrise et la volte-face étant de rigueur dans les mœurs politiques de notre pays, seule l'assurance et la garantie, qu'aucune entreprise d'évaluation de la gestion des vingt dernières années ne sera mise en œuvre, détermineront le choix du successeur. En effet, les clans du pouvoir et le sérail n'ont pas intérêt à ce que l'on ouvre la voie à des poursuites judiciaires(37) tous azimuts, ce qui pourrait remettre en cause les «biens acquis» par tous les saprophytes du pouvoir. Sortir du pouvoir en «bon ordre» et sans y «laisser des plumes»… C'est la quadrature du cercle actuelle pour le clan présidentiel !


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