Moins de quatre mois après son élection au poste de la magistrature suprême, Bouteflika a créé la surprise à Tipaza, où il animait un meeting populaire en déclarant : « L'Algérie est minée par la corruption. Des bandits ont pris en main le marché de l'importation par la force, et parfois par la menace et la terreur (...), ces monopoles individualisés sur le marché agissent selon les textes de la loi de la République. Ce qui explique l'assurance de ce groupe de personnes à dominer l'économie du pays.Toutes les facilités leur sont accordées par les banques. L'Algérie est une terre marécageuse polluée. Elle a besoin d'être nettoyée d'abord, ensuite travaillée par des hommes intègres. » Il a exhorté les services des Douanes et de la Gendarmerie nationale « à mettre à nu les malversations constatées », et a appelé les citoyens à jouer leur rôle en dénonçant les cas de corruption. Un message vite reçu, et des dizaines, voire des milliers de lettres faisant état d'affaires de corruption et de détournement de deniers publics ont inondé les services de la Présidence. Croyant à une véritable campagne de lutte contre ce fléau, des cadres des services des douanes ont dénoncé, preuves à l'appui, plusieurs courants de fraude qui saignaient depuis des années le Trésors public. Il s'agit, notamment, des vraies fausses domiciliations bancaires, des fausses déclarations en matière d'exportation des déchets ferreux et non ferreux et d'importation de produits électroménagers dans le cadre de la formule dite Règle 2 A et des dispositions CKD-SKD destinées au soutien de l'industrie du montage et de l'assemblage. Les commissions installées au niveau interne des services des douanes et chargées d'enquêter sur ces courants de fraude ont estimé, dans leur rapport adressé au président de la République, à près de 7 milliards de dollars US les pertes occasionnées au Trésor public en l'espace de quatre années. Révélation confirmée également par l'Inspection générale des finances (IGF), qui a remis un deuxième rapport au Président. La justice a été saisie en juillet 2000 et de nombreux cadres de la direction générale des Douanes, des banques publiques, et des services de police ont été convoqués par la justice dans le cadre de ces affaires. En 2002, c'est le grand scandale du groupe Khalifa qui a éclaboussé les plus hautes institutions de l'Etat et causé aux caisses de l'Etat un préjudice financier estimé à 7 milliards de dollars. Depuis 2003, la justice n'arrive toujours pas à clore ce dossier aux multiples facettes et aux nombreuses ramifications. Durant cette période et au moment où tous les regards étaient braqués sur ce scandale ayant entraîné l'effondrement du groupe, les banques publiques ont fait l'objet de véritables hold-up. Sous le prétexte de la lenteur de l'instruction et sa complexité, une bonne partie de ces dossiers est restée en instance au niveau de la justice. Les rares procès qui ont été programmés ont laissé l'opinion publique sur sa faim, puisque seuls les lampistes se sont retrouvés au box des accusés. Plus grave, dans de nombreux cas, ce sont les dénonciateurs de ces affaires qui ont payé le prix de leur courage. Les exemples ne manquent pas, ce qui laisse encore de beaux jours à la mafia politico-financière. Durant le mandat de Bouteflika, la lutte contre la corruption n'a été finalement qu'un discours creux. Les déclarations de Bouguerra Soltani relatives à sa détention de dossiers sur des personnalités de l'Etat corrompues, et la réaction brutale du Président qui l'a menacé de recourir à la justice pour le faire taire, montrent que ce fléau est loin d'être une affaire de quelques ministres ou généraux. Il est devenu une menace pour le développement du pays. De ce fait, un débat sur le sujet s'impose aujourd'hui pour comprendre le phénomène et promouvoir les moyens à même de le combattre. C'est dans ce cadre que le forum d'El Watan a invité Mme Huguette Labelle, présidente de Transparency International, une ONG internationale qui milite pour la lutte contre la corruption dans le monde. Prendront part au débat, qui se tiendra à l'hôtel Mercure, à Alger, Mme Fatiha Talahite, chercheur au Centre national de recherche scientifique (CNRS) et à l' université de Paris et Jean Cartier-Bresson, professeur à l'université de Versailles. Le politologue, Mohammed Hachmaoui aura à assumer le rôle de modérateur lors de ce forum ouvert au public à partir de 14 h.