Ce texte est le résumé d'une conférence destinée aux avocats stagiaires. J'ai pensé utile de le rendre public, car il ne concerne pas seulement les avocats stagiaires, loin de là. Il est typiquement attendu des avocats qu'ils/elles peuvent naturellement gérer leurs prestations publiques, présenter l'affaire de leurs clients devant plusieurs personnes assemblées ou discuter avec des personnes haut placées. Cependant, pour nombre d'entre-eux, c'est le cauchemar à la veille du rendez-vous. En salle d'audience, cet avocat/avocate n'entend pas ce que les autres disent. Il/elle est assis et attend son tour pour prendre la parole en remarquant que l'angoisse devient grandissante avec l'approche du moment de prendre parole. Les genoux tremblent sous la table, la bouche devient sèche et la rougeur atteint le visage. Il/elle ne focalise que sur soi-même et sur ces signaux d'angoisse. Plus il/elle se fixe sur ces signaux, plus ils deviennent plus importants. Cette description imaginée est loi d'être irréaliste. Beaucoup d'avocats connaissent l'angoisse du prétoire. Mais pourquoi est-ce seulement les avocats qui ont pareilles angoisses ? Il y a sûrement des personnes ayant des fonctions de décision, devant parler en public, tenir un discours, une conférence ou enseignent devant un public d'adultes qui vivent probablement les mêmes symptômes. Pour beaucoup, il est naturel de réaliser ce type de prestations et d'autres peuvent même en jouir, alors que c'est exactement le contraire pour d'autres. Le seul fait de penser au rendez-vous fatal peut provoquer les nuits blanches. Ce sont naturellement des personnes intelligentes, beaucoup sont douées, qui ont une faculté de pensée holistique utilisée donc à s'auto-analyser et se critiquer. Leur cerveau n'a rien à voir, mais l'angoisse d'avoir de l'angoisse devient une sorte de pensée automatique. Peut-être que les femmes s'en sortent mieux, pas parce qu'elles n'angoissent pas mais simplement parce qu'elles en parlent et sont plus ouvertes sur ces problèmes avec les amis et les membres de la famille, alors que les hommes la considèrent comme un défaut, quelque chose de négatif qui leur fait perdre la force de concentration sur leur travail au moment où c'est capital d'utiliser toute sa force de persuasion. Or, en pensant toujours à son angoisse, à ses mains qui tremblent, et en entendant sa propre voix qui devient rauque à chaque introspection, en demeurant constamment tourné vers soi-même et totalement pris par ses propres sentiments sur soi, il ne sait souvent pas que sa prestation est ou a été un brillant succès. Un succès auquel il ne prend pas attention, tout pris par ses angoisses intérieures au lieu de regarder la situation autour de lui. Ce type de personnes se fixent des limites extrêmement hautes pour elles-mêmes, et, quelle que soit la qualité de leurs prestations, elles ne sont jamais pleinement satisfaites. Elles ont donc peur de ce que leur entourage pense de leur travail et surtout, ce que pensent d'elles leurs chefs si elles sont dans une hiérarchie quelconque. L'une des causes de ce type de stress est peut-être le manque de reconnaissance explicité de leurs qualités par leur entourage. Dans le milieu des avocats que je connais, on n'est pas bon pour se congratuler, reconnaître le mérite du confrère ou donner le moindre feed-back positif. Souvent, ce feed-back est négatif. Il serait peut-être judicieux de considérer comme naturel le fait, après la prestation, de questionner le collègue assis sur le banc d'à-côté, et de solliciter sa critique constructive. Cela peut aller jusqu'à parler de cette angoisse, mais cela dépend du climat de confraternité. On peut aussi s'habituer à fêter ses propres sentiments d'angoisse. C'est plus utile d'apprendre de ses propres succès que de ses « fiascos ». On peut tout aussi commencer par féliciter le confrère ou le collègue, et assurer soi-même la survenance d'une autre culture, celle de la confraternité. Concrètement, l'avocat angoissé doit se concentrer sur la situation extérieure et non avoir la pensée totalement prise par son angoisse et ses signes intérieurs. En pensant que ses joues deviennent rouges, elles le deviennent effectivement. Il ne doit pas diriger son attention sur ce qu'il sent en son for intérieur, mais commencer à remarquer la présence des autres et écouter ce qu'ils disent. Donc, à la prochaine audience, lorsqu'il attend son tour pour plaider, il pourra se concentrer sur quelque chose de très simple, par exemple soustraire à chaque fois le chiffre 6 en partant de 100. A ce premier exercice, il ajoutera celui qui consiste à regarder les gens autour de lui dans les yeux. Enfin, il s'exercera à se concentrer sur son affaire et sur les points qu'il va développer et approfondir, en ayant bien entendu noté ce que l'adversaire dans l'affaire a déclaré, écrit ou pourrait dire. C'est une forme de dressage du système nerveux à un fonctionnement moins alarmiste. Et c'est en tout cas beaucoup mieux que de regarder ses mains trembler et se sentir rougir jusqu'aux oreilles. L'angoisse peut être pratiquement positive sur beaucoup de points. Elle conduit à la concentration et constitue une énorme source d'énergie. L'idée est de ne pas la considérer comme dangereuse mais de l'utiliser positivement et aboutir à une plaidoirie de grande intensité. Cet avocat au visage pâle avant sa plaidoirie devient, à la fin de sa prestation, heureux, et presque euphorique d'avoir su communiquer ce qu'il avait à dire. L'auteur est avocat