Avec le retour de l'été, c'est le rush habituel sur les lunettes de soleil. Que ce soit sur les allées Benboulaid, Rahbet Essouf ou Rahbet Ledjmel, Tout-Constantine se pare contre les rayons solaires nocifs, infra ou ultraconjugués à toutes les couleurs. De Dior à Police, en passant par Chanel et les incontournables Ray Ban, toutes les marques sont proposées sur des étals poussiéreux parfois à même le sol. Mais le commun des Constantinois sait que ces lunettes n'ont de " marque " que le nom car le produit chinois contrefait s'est aussi frayé un chemin dans le souk de la commercialisation des lorgnettes. Chaque année je me paye deux ou trois paires de lunettes de soleil pour frimer en été. Pour moins de huit cents dinars, je change de montures fréquemment et ça ne grève pas trop mon budget d'étudiant ", nous dira Malik avec la certitude de ses vingt printemps. Seulement, ce genre de lunettes implique beaucoup de risques aux consommateurs comme nous le confirmera Mohamed, un opticien installé à Khroub, à une quinzaine de kilomètres de Constantine. " La profession d'opticien n'est plus ce qu'elle était depuis l'apparition des produits asiatiques, chinois essentiellement. En apparence, les montures contrefaites ressemblent aux autres et seul l'œil d'un professionnel peut faire la différence. Le plastique et le métal de ces montures est à base de déchets plastiques et ferreux recyclés dans des conditions que personne ne connaît. Ces mêmes produits peuvent provoquer chez leurs utilisateurs des allergies et des maladies de la peau. De plus, et depuis quelques années, la contrefaçon a atteint le verre solaire de confort d'abord, puis le verre médical ". Notre interlocuteur nous expliquera que " pour le verre solaire, il y a un risque énorme pour l'œil qui se croira protégé contre les rayons ultraviolet alors qu'il ne l'est pas. Les atteintes de l'œil seront irréversibles surtout au niveau de la rétine. En ce qui concerne le verre de correction, les dégâts sont aussi importants, car les verres contrefaits présentent un foyer optique décalé qui pourra détériorer l'oeil en provoquant des décollements de la rétine et des astigmatismes (vision floue d'un objet : ndlr) ". Opticiens improvisés Ce témoignage est assez révélateur des problèmes dans lesquels se débattent les professionnels du secteur de l'optique. Ces mêmes personnes se demandent par quelle mystérieuse alchimie tous ces produits contrefaits atterrissent en Algérie. Il est vrai que nous n'avons pas le monopole de la contrefaçon, mais ce commerce informel qui ne représente qu'une infime partie des négoces sous d'autres cieux, s'érige en seigneur et maître chez nous. La réglementation douanière qui veille normalement sur la santé du citoyen, surtout en ce qui concerne les denrées alimentaires regarde ailleurs quand il s'agit de lunettes et produits dérivés. Car ce ne sont pas quelques dizaines de paires de lunettes solaires qui sont proposées mais des milliers d'articles qui s'adressent à une clientèle très diversifiée. L'exemple des lunettes pour presbytes est édifiant car les " consultations " se font sur le trottoir où le revendeur s'improvise en ophtalmologue et opticien réuni puisqu'il " ausculte ", " conseille ", " propose " et vend un produit qui est censé se négocier uniquement sur prescription médical. L'acheteur est, c'est vrai, tenté par les prix imbattables qui sont proposés. La paire de lunettes avec ses verres pour presbytie se négocie entre 150 et 300 dinars alors que la passage par l'ophtalmologue et l'opticien coûtera au bas mot 4 000 dinars. Y'a pas photo ! " Il n' y a pas de comparaison à faire, nous dira encore Mohamed du Khroub. Les opticiens s'approvisionnent chez des fournisseurs qui importent d'Italie, de France et d'Allemagne, en général. Il y a même des verres qui viennent des Etats-Unis qu'on appelle corning et qui sont un bijou de technologie de précision. Et toute cette qualité, ce label, coûtent cher surtout quand on y rajoute les impôts et les charges inhérentes à notre profession. Alors que ce qui est proposé sur les trottoirs n'est que de la contrefaçon très dangereuse pour la santé car ne répondant à aucun critère sanitaire ". Tout ce bazar a fait que des professionnels de l'optique baissent le rideau. C'est les cas de Larbi Bentellis, diplômé d'une école réputé de l'ex RDA et qui a longtemps fait de la résistance contre les charlatans de la profession. " J'ai abdiqué après plusieurs années de combat, car c'en était un. La concurrence déloyale a fini par avoir raison de ma détermination. Je ne parle pas uniquement des produits proposés sur les trottoirs. Il y a malheureusement des gens que je croyais du métier qui ont fini par craquer et qui s'approvisionnent aussi chez les importateurs de produits chinois. Un verre ordinaire, par exemple, se négocie chez un grossiste à hauteur de 120 dinars et l'opticien le revendra autour de 200. Le verre non traité coûte à peine 30 dinars au prix de gros et vous pouvez l'acquérir entre 100 et 150, car certains opticiens véreux alignent à peu près leur prix sur celui du verre traité pour ne pas éveiller les soupçons. La supercherie ne sera découverte que plusieurs mois après car le verre non traité s'opacifie en son milieu. Mais généralement les lésions sont déjà bien installées. Les montures contrefaites existent aussi chez les opticiens déclarés. Avec un prix coûtant qui ne dépasse pas les 200 dinars, elle est proposée à 1600, alors que ce n'est qu'une pâle imitation, dangereuse pour la santé en plus. On retrouve les mêmes ingrédients pour le verre solaire de qualité qui ne peut se négocier à moins de 1800 dinars l'unité ". Ce produit de qualité se trouve par exemple à Annaba. Il est le résultat d'une firme tunisienne qui fait du surfaçage sur place et exporte son produit fini chez son représentant à la coquette, M. Rachi. On trouve les mêmes gages de qualité chez M. Abdelaziz Kebbab, installé à Tizi Ouzou qui propose du verre traité d'une qualité irréprochable. D'ailleurs ses différentes participations à des manifestations internationales sont autant d'atouts à faire valoir dans une profession qui est entrain d'être minée par ceux qui sont censés la protéger. Des " pros " dans des… souks Côté administration, on a été ébahi de découvrir que peuvent prétendre être opticien des artisans et des vendeurs de lunettes tel que précisé sur leur registre de commerce, alors que pour " traduire " l'ordonnance d'un ophtalmologue et délivrer des lunettes il y a un pas très important que la DSP a laissé franchir. Ce commerce est tellement lucratif que des " opticiens " hantent désormais nos souks à la recherche de gens appâtés par des prix non concurrentiels. C'est ainsi qu'ordonnance en main nous avons sollicité les services d'un " professionnel " sur le …marché hebdomadaire de Didouche Mourad (commune distante du chef lieu de quinze kilomètres : ndlr). Celui-ci nous proposera de nous remettre lunettes, qu'on choisira sur place sur un étal poussiéreux en nylon, et verres selon l'ordonnance au prochain jeudi, jour de souk, pour un prix défiant toute concurrence : 750 dinars. Le secret d'une telle aubaine, nous l'avons retrouvé chez notre ami opticien à Khroub qui est tombé dans le panneau à plusieurs reprises ainsi que plusieurs de ses confrères quand des gens se présentent chez eux avec des montures de contrefaçon quémandant des verres car " ne disposant pas de ressources pour en acheter ". Ce tour sera joué devant nombre d'opticiens qui participent malgré eux à des entourloupes avec des scenarii divers. Le docteur Mansour-Bounab, chef de service d'ophtalmologie au CHU de Constantine, mettra un bémol à toutes nos inquiétudes en reconnaissant " qu'il y a effectivement des accidents liés au port de lunettes et de verres non conformes, mais qu'il ne sont pas très important. Du moins pas au niveau de l'hôpital car pour les problèmes de correction, c'est surtout chez le privé que ça se passe. Je vous dirai aussi que le verre solaire non traité peut aussi occasionner des dégâts au niveau de l'œil, notamment une maculopathie représentée par un organe altéré. Et pour cela il faut vraiment s'amuser à regarder directement le soleil pendant plusieurs minutes. Ce que fait rarement un sujet normalement constitué. Il ne faut pas néanmoins minimiser les risques liées à la contrefaçon qui touchent aussi bien les prothèses oculaires que sont les lunettes et les verres mais aussi le produit hospitalier ". La sonnette d'alarme est encore tirée par le docteur Mansour-Bounab dans un secteur où tout se négocie le plus souvent à…vue.