La jeune Neira Dalichaouch veut aller loin. En Chine surtout. Mais pour l'instant, elle s'est contentée de s'envoler pour la Bretagne en France pour recevoir le prix littéraire Louis Guilloux des jeunes, catégorie étrangers. La remise du prix, remporté pour la troisième fois consécutive par une lycéenne algérienne, a eu lieu en juillet dernier, à Saint-Brieuc, département des Côtes-d'Armor. Le manuscrit arriva en retard, mais, « vu la qualité de l'écrit de Neira, au-dessus des autres textes déposés, le jury a fermé les yeux et l'a désignée comme lauréate », raconte Lydia Cardinal, elle-même Bretonne, professeur de français de Neira au lycée français Alexandre Dumas à Alger. Lydia Cardinal et ses collègues au lycée français encouragent la diffusion de l'information en Algérie concernant ce prix, créé en 1983 pour perpétuer la pensée humaniste et militante de l'écrivain breton Louis Guilloux, prix Renaudot en 1949. Et c'est grâce à l'association Partenariat Algérie, basée à Lamballe en Bretagne - où Lydia Cardinal a fait son lycée - que le lien entre les lycéens algériens lauréats et le jury du prix a pu se concrétiser. Partenariat Algérie est d'ailleurs en co-projet avec plusieurs associations algériennes, dont Afak à Si Mustapha (wilaya de Boumerdès) pour la création d'une coopérative apicole ou encore pour monter une médiathèque associative à Alger. Le prix obtenu par Neira s'inscrit donc dans cette dynamique de rapprochement entre les deux rives, au moment où les politiques érigent des barrières consulaires et dressent l'ingénierie génétique comme sésame de circulation humaine. « Tu as tout compris à Louis Guilloux », confie à Neira, en aparté à Saint-Brieuc, un vieux compagnon de l'écrivain antifasciste et humaniste. La nouvelle de l'Algérienne, La raison déraisonnée est un récit fantastique sur fond de lutte contre l'aliénation qu'impose la violence collective. « Je n'étais pas inspirée au début, mais après les attentats du 11 avril (à Alger et Bab Ezzouar), j'ai écrit. Ce n'était ni de la colère ni de la résignation. Mon héros était un militant, Louis Guilloux aussi. La vie même de l'auteur m'a inspirée », dit Neira. Le principe du concours était d'écrire une nouvelle en s'inspirant d'un passage de Sang noir, une charge antimilitariste en forme de roman que Guilloux publia en 1935. A la même année, l'écrivain est secrétaire du 1er Congrès mondial des écrivains antifascistes, puis responsable du Secours rouge international qui deviendra le Secours populaire et qui vient en aide aux réfugiés de l'Allemagne hitlérienne, puis aux Républicains espagnols. Dans sa nouvelle écrite en deux jours, Neira, « éclairée » en arabe, aux yeux friands du monde entier et de son humanité, a fait preuve d'une « maturité intellectuelle » certaine, pour reprendre sa prof, Lydia Cardinal. Ses projets ? Poursuivre l'écriture d'un roman quand elle aura un peu de temps à mettre de côté, écrire en arabe « parce que cette langue est belle » et parce que du côté maternel, son grand-père fut un collaborateur de cheikh Ben Badis et surtout apprendre le chinois et voyager vers l'Empire du Milieu, un univers qu'elle adore à travers les pages de Pearl Buck.