Incapable de tirer ses moyens de subsistance de ses terres agricoles et de son industrie agroalimentaire, l'Algérie est depuis plus de 40 ans contrainte de consacrer une part chaque année plus importante de sa rente pétrolière à l'importation de produits alimentaires. La croissance démographique, l'avènement de nouvelles habitudes alimentaires, l'ampleur prise par l'économie de bazar et les hausses cycliques des prix ont porté la facture des produits importés à des niveaux alarmants. D'un peu moins d'un milliard de dollars en moyenne par an durant la décennie 1970, le coût annuel des produits alimentaires importés est passé effectivement à 2 milliards durant les années 1980, puis à 3,5 milliards à la veille des années 2000. La facture est aujourd'hui encore plus salée, les produits alimentaires importés ayant coûté cette année pas moins de 4,5 milliards de dollars, selon les premières estimations du ministère du Commerce qui évalue à 1,3 milliard le montant des produits céréaliers en provenance de l'étranger. Le drame, nous avoue un haut cadre de ce ministère, est que cette hausse de la facture d'importation ne s'est pas, ou en tout cas très peu, traduite par une augmentation significative des quantités importées, l'envolée des prix de nombreux produits alimentaires ayant considérablement réduit le pouvoir d'achat du pays. Pratiquement tous les produits agroalimentaires constituant l'alimentation de base des Algériens, à commencer par le blé, les féculents, l'huile de table, le café et le concentré de tomates sont affectés par cette inflation importée, qui ne serait, selon les experts, qu'à ses débuts, la tension inflationniste étant, pour diverses raisons, appelée à s'installer dans la durée. La hausse des prix des produits énergétiques, les hausses de salaires enregistrées dans pratiquement tous les pays exportateurs de produits agroalimentaires, y compris la Chine, l'envolée du cours de l'euro qui est la monnaie de compte d'environ 60% de nos importations, la restriction de l'offre de certains produits agroalimentaires en raison des surcroîts de demandes en provenance de pays émergents très peuplés, comme la Chine et l'Inde, le recul des surfaces céréalières au profit de biocarburants, les problèmes climatiques et autres. Autant de déterminants structurels appelés à favoriser les hausses de prix de produits facturés à nos importateurs en euros ou en dollars, dont les taux de change exorbitants exacerbent les prix à la consommation des produits importés. Il faut, en effet, savoir qu'au cours actuel de l'euro (1 euro = 100 DA), tout produit qui enregistre un euro de plus à l'importation coûtera 100 DA de plus au consommateur algérien, uniquement par le truchement du taux de change. Comment faire face à cette déferlante d'inflation importée qui lamine chaque jour davantage le pouvoir d'achat des Algériens déjà fortement compromis par la stagnation des salaires et le surendettement de nombreux ménages (notamment la classe moyenne) pris dans la spirale des crédits à la consommation ? Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est clair que l'Algérie continuera à dépendre des prix fixés à l'étranger tant qu'elle n'aura pas mis fin, ou du moins atténué, sa dépendance des agricultures et des industries agroalimentaires étrangères. Pour ce faire, il aurait fallu que nos gouvernants mettent en œuvre des programmes de mise en valeur agricoles et de développement d'industries agroalimentaires, puisant leurs matières premières de l'amont agricole. Pour atteindre un tel objectif, il aurait fallu que l'Etat affiche une volonté politique sans faille, ce qui n'est malheureusement pas le cas. Les gouvernements qui se sont succédé ont pratiquement fait la sourde oreille à tous les projets de développement de l'amont agricole qui leur furent proposés aussi bien par des promoteurs privés, que publics. La fiscalité , une réponse C'est à croire qu'une force au sein du pouvoir travaille au maintien de notre agriculture et de notre industrie agroalimentaire dans leurs états d'incurie et de dépendance actuels. C'est une affligeante réalité qui a peu de chance de disparaître de sitôt tant elle génère des profits colossaux à certains cercles influents. Aussi ne reste-t-il qu'à jouer sur certains mécanismes comme les impôts et taxes, la parité du dinar par rapport aux devises fortes, le choix des pays fournisseurs en fonction de leur monnaie de compte, la protection autre que tarifaire des produits nationaux, le soutien des prix de produits de première nécessité, etc. Levier de régulation par excellence aux mains de l'Etat, la fiscalité peut effectivement constituer une riposte efficace contre les hausses de prix de produits agroalimentaires importés en l'état ou façonnés en Algérie à partir d'intrants importés. Tous les produits figurant dans le répertoire des produits de première nécessité (huile de table, café, sucre, semoules, légumes secs) devraient par exemple être exonérés de la TVA et autres taxes douanières. L'action qui n'affectera pas lourdement le budget de l'Etat devrait engendrer une baisse moyenne des prix à la consommation de 7 à 10%. Un fonds de régulation des prix des produits de première nécessité mériterait d'être créé à l'effet de répartir ces taxes au gré des fluctuations des prix à l'importation affectant l'un ou l'autre de ces produits. Les baisses cycliques de prix de produits importés serviront à compenser les prix de ceux qui, au contraire, subissent des hausses. La parité du dinar que tous les experts s'accordent à dire qu'il est sous-coté par rapport aux devises fortes est un autre levier que la Banque d'Algérie et son marché interbancaire des changes pourraient également faire jouer pour contenir les hausses de prix de produits importés. Un raffermissement du dinar, notamment par rapport à l'euro, est de nature à augmenter le pouvoir d'achat de l'Algérie. Les indicateurs macroéconomiques militent en faveur de la hausse de la parité du dinar et on ne comprend pas pourquoi les autorités monétaires algériennes hésitent à faire ce pas. Ce n'est en tout cas pas une injonction du FMI, dont de hauts responsables ont maintes fois affirmé ne pas s'opposer. Il est évident que si la Banque d'Algérie ne consent pas à revoir à la hausse la parité du dinar, elle devrait au minimum faire pression sur les importateurs pour qu'ils s'approvisionnent dans les pays qui ont pour monnaie de compte le dollar. Dans les conditions actuelles du marché international des changes, on ne comprend pas pourquoi nos importateurs effectuent plus de 60% de leurs achats dans la zone euro, sachant qu'un euro vaut aujourd'hui près d'un dollar et demi. L'Etat y gagnerait en tout cas beaucoup plus que le retour au soutien des prix qu'il envisage d'exercer au profit de certains produits de première nécessité, comme par exemple la semoule. On sait, pour l'avoir vécu du temps du socialisme triomphant, à quels trafics et autre spéculation sont d'avance voués ces produits qui seront beaucoup plus disponibles à nos frontières et chez nos pays voisins qui sauront bien tirer profit du différentiel de prix.