On ne discute jamais des atteintes aux droits humains dans les salons luxueux des hôtels. C'est pourtant le cas depuis hier à l'hôtel El Aurassi à Alger. La commission officielle des droits de l'homme que dirige l'avocat Farouk Ksentini a invité des organisations gouvernementales arabes pour discuter de la question. C'est le meilleur moyen de noyer le poisson. Les violations des libertés démocratiques et des droits de l'homme sont l'œuvre des Etats. Surtout en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Les organisations financées par les Etats ne peuvent pas mordre la main qui les nourrit et dénoncer les atteintes aux droits ni élever la voix lorsque des abus sont commis. La commission Ksentini est la parfaite illustration de cette situation. Elle n'a rien dit sur les atteintes répétées aux libertés syndicales. Elle se tait sur les atteintes aux droits des prisonniers évoquées par les avocats. Elle ne demande pas aux autorités de lever l'état d'urgence alors qu'en la matière, la Constitution et les conventions internationales sont ouvertement violées par le gouvernement. Elle n'a rien dit sur la condamnation de journalistes à de sévères peines de prison. Elle n'a pas demandé une révision du code pénal pour alléger les sanctions prévues en matière de diffamation et d'outrage. Elle n'a fait aucun geste pour exiger une garantie pour une expression libre des opinions dans les médias publics, principalement la télévision. Elle n'a que peu parlé pour appeler au respect des droits des femmes et des enfants à tous les niveaux. Elle n'a pas dénoncé l'interdiction imposée depuis des années de recourir à des manifestations de rue. Elle n'a pas trouvé scandaleux que le processus dit de réconciliation engagé en Algérie ne respecte pas deux principes de base : la vérité et la justice. C'est sûr, la commission Ksentini n'arrive pas à convaincre. Passer son temps à faire des démentis aux organisations internationales des droits de l'homme qui critiquent l'Algérie ne donne pas forcément de la crédibilité. Faire preuve de « patriotisme » à chair vive n'accorde pas d'autorité morale, non plus. A huis clos, cette commission élabore « un rapport » sur la situation des droits qu'elle adresse au chef de l'Etat. Contrairement aux règles universelles, ce rapport n'est pas rendu public. Il y a donc beaucoup à dire sur le contenu de ce document qui, en théorie, devrait susciter un débat ouvert, si l'intention était réellement de « promouvoir » et de « protéger » les droits de l'homme, tel que prévu dans la lettre de mission de la commission Ksentini. Au-delà de l'Algérie, le monde arabe est la région où les violations des droits politiques et sociaux sont les plus massives. L'Arabie Saoudite et la Libye sont des goulags dorés. La Tunisie et la Syrie sont des prisons à ciel ouvert pour tous les opposants. L'Egypte, le Koweït et le Yémen interdisent à des degrés différents la liberté d'expression. La Jordanie et le Maroc font la chasse aux journalistes. Le Soudan et le Liban font face à des tensions internes qui malmènent la liberté d'opinion et créent des clivages. Mis à part le Liban, l'alternance au pouvoir est proscrite dans toute la région. En Tunisie et en Algérie, les chefs d'Etat en place aspirent à une présidence à vie. Au Maroc, en Arabie Saoudite et à Oman, la monarchie est érigée en « chose sacrée ». En Syrie et, bientôt en Egypte et en Libye, les Républiques sont devenues héréditaires. Dans toute la région arabe, les Parlements ne sont que des vitrines. Ils ne servent à rien. Les sociétés civiles, en dépit de quelques rares exceptions, sont transformées en cercles d'allégeance. Dernièrement, les ministres de la Communication arabes ont – enfin – réussi à « s'entendre » pour censurer les chaînes de télévision diffusées par satellite. Ils ont foulé aux pieds la charte arabe des droits de l'homme de 1994. C'est peut-être un détail...