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Takfarinas (Chanteur) : « Oser des pistes nouvelles »
Publié dans El Watan le 17 - 04 - 2008

Né à Tixeraïne, près de Birkhadem, Takfarinas, de son vrai nom Ahcen Zermani, vit en France depuis 1979. Enfant, il apprend la musique en bricolant une guitare. A 16 ans il est lauréat d'un radio-crochet et en 1976, il sort son premier album. En 1983, il crée avec Boudjemâa Semâouni, le groupe Agraw, qu'il quitte en dépit de leur réussite. Poursuivant sa carrière en solo, il se distingue en 1986 avec Way telha qui le révèle. Il apporte un souffle nouveau à la musique kabyle en lui combinant le chaabi mais aussi la pop, le rock, le disco, le reggae. En 1989, il sort un double album : Irgazen et mi d ih. En 1994, son Yebb'a rremman est classé quatrième au hit-parade des World Music Europ Charts. Il donne ce samedi un concert au Zenith de Paris. Rencontre à chaud
La chanson kabyle est sinistrée musicalement. Il n'y a rien de bien nouveau ! Les nouveaux chanteurs continuent de faire du sous Aït-Menguellet, loin de la modernité. Sentez-vous tout le poids qui pèse sur vos épaules ?
Non, je n'ai pas le droit de faire n'importe quoi. Je me sens investi d'une mission. Je travaille à plein temps pour ma musique, je n'ai pas le temps de faire autre chose. Et je trouve que je n'ai pas assez de temps ! Faire un album demande beaucoup de travail et de sacrifices. Pour réussir un bon album, il faut aussi, en plus du temps, investir beaucoup d'argent. Un album digne de ce nom, bien fignolé, revient entre 80.000 et 100.000 euros. Il ne s'agit donc pas de faire un travail bâclé à la va-vite. Un album, comme tout projet culturel, demande un murissement, de la recherche, une synergie, un arrangement original… Quant à Aït Menguellet, c'est un artiste que j'apprécie beaucoup. Je ne suis pas venu d'ex nihilo, j'ai enfourché le cheval préparé par Idir, Djamel Allam et les autres…
Vous voyez quel chanteur dans la nouvelle génération capable d'apporter un nouveau souffle à la chanson kabyle ?
(Silence) Il y a sûrement des chanteurs doués.
Vous avez commencé très fort en apportant un son nouveau. Votre carrière a décollé tout de suite, puis il y a eu Romane, un album avant-gardiste…
Je vous coupe la parole tout de suite, vous avez mis le doigt sur quelque chose de très important. Romane est un album très important pour moi. Un très beau bébé, très original. Il compte beaucoup dans ma discographie. A l'époque, je voulais faire quelque chose de totalement inédit, aussi bien au niveau musique que structure du texte, que j'avais déconstruit en puzzle. J'ai voulu faire du rock, du blues, du jazz, apporter une grande originalité. Même au niveau des refrains, je ne me suis pas contenté de faire dans la facilité, ils ne se ressemblaient pas. Chaque refrain évoluait dans son propre univers. Pour prendre une métaphore simple, j'ai jeté mes hameçons dans différents océans. Je n'ai jamais voulu tomber dans la simplicité.
Justement, si sur le plan artistique, Romane, une œuvre que les mélomanes commencent à découvrir, sur le plan financier, la pêche a été désastreuse !
Vous avez entièrement raison, les ventes n'ont pas suivi. Romane n'a pas trouvé son public. Les gens étaient déroutés par tant de richesses musicales et ont boudé l'album ! Je l'ai vécu assez difficilement. En 1993, je n'ai réuni que 200 personnes au Bataclan (salle de spectacle parisienne) ! Je me suis remis en cause, fait une introspection sur moi-même pour voir ce qui n'allait pas. Je ne comprenais pas la désaffection du public.
Vous l'avez pris pour une injustice ? Et avez-vous décidé de faire dorénavant plaisir à votre public en flattant ses goûts ?
Non ! Je n'ai absolument pas changé ma musique, je suis resté moi-même ! Je fais ce qui me fait plaisir. Et quand j'apprécie un morceau, je me dis que le public saura apprécier aussi. Je n'ai pas choisi ce métier pour faire fortune. Je suis là pour prendre des risques, oser des pistes nouvelles, explorer de nouveaux sons. Je n'aime pas la médiocrité, et faire répéter à l'infini les mêmes chansons ne m'intéresse pas.
Décidemment, cette interview part dans tous les sens. On revient à vos débuts…
Croyez-moi, elle n'était pas facile ! J'ai dormi, chanté dans le métro. Je ne remercierai jamais assez Arezki Baroudi pour toute son aide. Un jour, je lui ai demandé de me faire rencontrer un producteur. On s'est retrouvé dans un café. J'avais ma guitare sur moi. Il me dit : « Joue-nous un morceau » Dès que j'ai commencé, il m'a accompagné au improvisant un air sur le comptoir. A la fin du morceau, il me dit : Bravo, tu es un Hartiste, avec un h traînant. Le lendemain, il m'accompagne auTriomphe. Il me présente au producteur et lui assène comme une vérité : « Si tu perds un centime, je te rembourserai ! » Trois jours après, j'enregistre mon album, inoubliable !
C'était aussi la période Agraw, avec Boudjemaâ, une parenthèse enchantée ?
Oui, assez étrange, très agréable. Avec Boudjemaâ, on s'est entendus très vite. Cela a commencé fortuitement, dans un magasin de disques à Barbès. Le propriétaire vendait près de 5000 cassettes d'Aït Menguellet par jour, par cartons entiers. C'est sûrement de là que vient le verbe cartonner, dhi cartonane (éclat de rire). Nous, on faisait le pied de grue pour rencontrer le big boss du producteur d'Azwaw. Nous n'avions aucune chance, il passait, disait à peine bonjour et se réfugiait dans son bureau. Idir nous a donné notre chance en nous faisant confiance pour assurer la première partie de ses spectacles. Il nous accompagnait même à la flute. J'avais dit à Boudjemaâ que j'étais partant avec lui mais que je gardais mon nom, mon identité.
Arrive alors Wey thelha, les années folles 1985-1988…
L'album est sorti dans l'anonymat. Les ventes étaient dérisoires pendant quatre mois. Puis il y a eu un emballement, une émission télé avec Aziz Chouaki, un clip avec la JSK, et c'était la folie. Plus de 2 millions d'albums vendus officiellement, et j'insiste sur le côté officiel. Facilement 10 millions en tout. Et des concerts partout en Algérie, tous pleins, à guichets fermés.
On arrive au sujet qui fâche justement. A quand un concert en Algérie ? A Sétif au Festival du film amazigh. La police a dû intervenir pour vous libérer de la foule qui ne voulait pas vous laisser repartir !
Vous me faites mal en disant ça, vous touchez un point sensible ! Je ne demande que ça, chanter en Algérie ! Je vais vous confier quelque chose de très important. J'ai travaillé pendant très longtemps sur un dossier que j'ai présenté à la ministre de la Culture qui l'a accepté et paraphé, je l'ai présenté au directeur actuel de l'ENTV qui en a fait de même et, tenez-vous bien, même à la présidence qui l'a accepté ! On m'avait dit que si je voulais qu'un tel projet puisse voir le jour, il fallait absolument l'estampillage : « Sous le haut patronage du président de la République ». Une semaine après sa sortie de l'hôpital, le Président m'envoie son accord par courrier spécial. Et depuis, rien, j'attends. Je désespère de tant de bureaucratie. Tout le monde est d'accord mais le projet est bloqué quelque part, par quelqu'un.
Quel est donc cet important dossier ?
Le projet, je l'ai élaboré avec le directeur de production du « Printemps de Bourges ». La moitié de mon orchestre est composé d'Algériens qui ont réussi et qui veulent donner en retour à leur pays. Mon projet est simple. J'ai dit aux autorités donnez-moi, plutôt louez-moi vos stades et je les remplis. Si vous avez le matériel, je vous rembourserai, sinon je prendrai le mien et je vais l'assurer avec mon cachet même s'il est difficile de trouver un assureur qui accepterait de prendre le risque Algérie. J'ai besoin de 18 semi-remorques parce que je suis un professionnel. Je ne veux pas d'une sono pourrie, saturée. J'ai un grand respect pour mon public. Pour mon spectacle, j'ai besoin de deux scènes de 400 mètres carrés chacune. Un spectacle grandiose.
Et vous n'avez toujours pas de réponse malgré l'appui de Khalida Toumi, de Hamraoui Habib Chawki et du président Abdelaziz Bouteflika !? Qui peut donc avoir le pouvoir de faire capoter une telle opération ?
A vous, journalistes, de le découvrir ! Moi, j'ai tous les documents en ma possession qui confirment la véracité de mes dires. J'ai dit aussi aux autorités que je ne veux pas de cet argent, que je vais donner les bénéficies aux associations pour construire des centres culturels et pour aider les handicapés de chaque wilaya où je me produis.
Donc l'Algérie se refuse à vous mais les autres pays n'arrêtent pas de vous réclamer, vous venez de faire une tournée en Hollande, vous avez été bien reçu au Maroc…
Le concert de Rotterdam était pas mal. Au Maroc, j'ai vécu des moments d'une rare puissance. Imaginez 140 000 personnes en train de reprendre mes morceaux dès la première note ! Là-bas, les organisateurs mettent les barrières qui séparent le public de la scène à plus de 30 mètres. J'ai tout de suite refusé et ai exigé 10 mètres au maximum. J'ai besoin de ce contact avec le public. Les gens montaient sur scène, me donnaient des bijoux (vrais ou de pacotille), de l'argent, m'embrassaient. J'étais très gêné. Je retourne en juin au Festival d'Agadir, ça va être chaud !
A quand le prochain album ?
Pour ne rien vous cacher, il est prêt ! Mais je ne le sors qu'en 2009, le temps de finir pas mal de choses post-production…
Et cet album il sera comment ?
Eclats de rire. Comme je vous l'ai dit, je jette mes hameçons partout. Disons que cette fois-ci, ce sera dans mon quartier surtout. Dans chaque album, je fais une ou deux chansons chaâbi, cette fois-ci, ce sera 50% ! Je n'en dirai pas plus ! Robert Laffont, Coll. Bouquins, Paris, février 2008.


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