En quelques heures, la capitale libanaise, qu'on présentait figée dans une configuration de bastions tenus par différentes forces, est tombée entre les mains des combattants de l'opposition menée par le Hezbollah, bouleversant ainsi une bonne partie de la carte politique. Selon des sources proches du Hezbollah, la prise de Beyrouth s'est déroulée en trois étapes : isoler d'abord Beyrouth-Ouest, ensemble de quartiers commerciaux mixtes du point de vue confessionnel, ensuite faire basculer par des frappes « chirurgicales » ces quartiers mixtes en faveur de l'opposition et enfin trancher « militairement » la question du rapport des forces en ciblant les positions armées de la majorité. Lors de la première étape, explique-t-on, les éléments de l'opposition ont profité de la manifestation de revendication sociale, le mardi 6 mai, pour couper toutes les routes vers Beyrouth-ouest, afin de délimiter les lignes de confrontations à venir. Le lendemain, dans plusieurs quartiers mixtes comme à Barbour et Ras Nabaâ (sorte de lignes de démarcation entre sunnite et chiite), les hommes armés de Amal et du Hezbollah ont délogé, lors de combats de rue, plusieurs postes occupés par des combattants de l'autre camp, majoritairement loyaux au Courant futur de Saâd Hariri. Ces offensives évitent soigneusement les quartiers chrétiens dont Beyrouth-est, afin de ne pas poignarder dans le dos l'alliance entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre de Michel Aoun de 2006 et d'enlever ainsi aux rivaux chrétiens de ce dernier, le couple Samir Gaegae et Amin Gemayel, tout prétexte de radicalisation de cette communauté. Pour revenir aux étapes de la prise de Beyrouth, la tactique suivie par les combattants de l'opposition était de remettre à l'armée chaque position de la majorité. Une attitude qui a poussé un ponte de la majorité à qualifier l'armée de « police militaire » du Hezbollah. D'ailleurs, jusqu'aux derniers combats dans la montagne et le Chouf — fief de Walid Jomblatt, un des leaders de la majorité — l'opposition a reconduit la même stratégie. « Le but n'est pas d'occuper du terrain ou des positions, mais plutôt de clarifier les positions et le poids de chaque force, en laissant à l'armée le soin de remplir son rôle de force de l'Etat », indique un proche de l'opposition. La troisième et dernière étape de la prise de Beyrouth a été déclenchée quelques minutes après, suite au discours de Hassan Nassrallah jeudi, avec l'offensive militaire d'envergure lancée par ses hommes qui a duré de la fin de journée jusqu'à une heure du matin. Le lendemain vendredi, non seulement Beyrouth-ouest était tombée, mais les résidence de Saâd Hariri et de Walid Joumblatt étaient pratiquement encerclées, seuls quelques axes de la ville étaient aux mains de l'armée. L'ultime étape de la « bataille » de Beyrouth se déplace à partir de samedi 10 mai, vers le sud-est de la capitale, la montagne et le Chouf, « afin de démanteler la présence milicienne de Joumblatt dans ce qu'il considère comme son fief », confie notre source. « Et tenter ainsi de briser la colonne vertébrale de la majorité en la personne de Joumblatt », commentait hier, un éditorialiste proche de l'opposition. Le but tactique et hautement symbolique du Hezbollah semble avoir été atteint : désarmer les « milices » qui menacent l'existence de la résistance en portant préjudice sur la légitimité de son armement. Mais du côté de la majorité — et de ses alliés étrangers — il s'agit d'un « coup d'Etat ». Un qualificatif reproduit en générique des émissions spéciales de la chaîne Al Arabiya, propriété de capitaux saoudiens, dont le ministre des Affaires étrangères, Saoud Al Fayçal, a, lors de la réunion extraordinaire des ministres de la Ligue arabe au Caire le 11 mai, comparé Nasrallah à Ariel Sharon étant les « deux personnages à avoir assiégé Beyrouth ». « Une grave attaque qui n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd », commente un sympathisant de l'opposition.