Le Pr Noureddine Khaled, vice-président de l'Association pour l'aide, la recherche et le perfectionnement en psychologie (SARP) et maître de conférence à l'université d'Alger 2, pense que le phénomène de la « harga » est complexe. Il estime que c'est l'une des rares possibilités qui restent à certains jeunes pour construire leur identité et tenter de se réaliser en tant qu'homme. Nous l'avons rencontré lors du colloque sur « Les jeunes entre malaise de vie et projet de vie », qui a eu lieu dernièrement à Alger. A votre avis, qu'est-ce qui pousse les jeunes à risquer leur vie en traversant la mer sur une petite embarcation ? C'est un phénomène qui existe depuis longtemps et il s'est accentué en 2000. La première idée est que la « harga » est la partie « émergée » de l'iceberg migration et départ vers l'Eldorado qui frappe l'imaginaire. L'autre partie « immergée » c'est que beaucoup d'Algériens, qui partent plus ou moins régulièrement, même des familles entières, de hauts cadres, les chercheurs (fuite des cerveaux) vers le Canada, les USA, l'Angleterre et... la France, ceux-là ont les moyens pour vivre normalement. Les autres « harragas » sont démunis. Donc, pourquoi partent-ils à l'aventure avec tous les risques que cela comporte ? Pour les mineurs, la « harga » est le seul moyen qui leur reste pour se réaliser. Il dira sur le plan psychologique et social : « Je suis quelqu'un ». Le profil du harag est issu d'une famille démunie. Les parents n'ont aucun contrôle sur leurs enfants car ils ont beaucoup de problèmes sociaux à gérer. Le jeune est rejeté de l'école à un âge assez précoce ; il vit à l'extérieur de chez lui. Donc le modèle identitaire ne va pas être pris à l'école ou à la maison. Ce sont les modèles extérieurs, notamment, des gens qui ont réussi de l'autre côté qui va être adopté. Un modèle imaginaire, bien sûr. Pensez-vous que la loi qui pénalise la harga est une solution ? Les mesures restrictives n'ont jamais réglé un problème. Même si on protége les frontières, on ne peut diminuer le nombre de harraga. Si cette loi est appliquée, cela veut dire que les autorités n'ont pas d'outils pour limiter le phénomène des harraga. Et limiter leur départ par la mer. Selon vous, l'application de la loi ne suffit pas... Il faut ouvrir des perspectives pour les jeunes. Mais, il y a plusieurs dispositifs mis en œuvre pour lutter contre le chômage... Tous les jeunes ne sont pas candidats à la harga. Il ne faut pas nier que certains jeunes ont réussi avec les dispositifs de l'ANGEM et de l'ANSEJ. Mais ces mesures ne suffisent pas malheureusement. Que proposez-vous pour mettre fin à ce phénomène ? La raison fondamentale de la harga est une nouvelle forme de contestation des jeunes en plus de l'immolation. Il faut une solution politique en ouvrant des perspectives de formation professionnelle, de lutte contre le chômage, sans omettre l'aspect loisir pour se défouler. Même nos stades, il faut voir dans quel état ils sont. Ils n'incitent pas à la pratique du sport. Donc le jeune se trouve devant l'alternative : la mosquée ou la harga pour s'affirmer.