C'est dans l'air du temps, les attaques contre les sociétés chinoises d'équipements de réseaux de télécommunications sonnent comme un chant de nostalgique de l'ère du protectionnisme. Après le rapport du sénateur français Bockel, publié en juillet dernier, demandant, sans avancer aucune preuve concrète, de mettre des sociétés chinoises sous embargo, c'est au tour des autorités américaines de monter le ton contre deux équipementiers de télécoms chinois. Après Ralls Corp, accusée il y a une quinzaine de jours par le président Barack Obama en personne de mettre en danger la sécurité nationale, c'est au tour de Huawei, le leader chinois des télécommunications, d'être épinglé dans un rapport du Congrès américain, qui le soupçonne de cyberespionnage. Son rival ZTE, une entreprise chinoise de télécommunications, a lui aussi été considéré comme persona non grata sur le territoire américain. Publié lundi dernier après un an d'enquête, le rapport recommande aux autorités américaines de bloquer Huawei dans ses velléités d'expansion aux Etats-Unis. En clair : l'empêcher de signer des contrats et de réaliser des acquisitions, car Huawei, affirment les auteurs du rapport, est intimement lié à Pékin, et pourrait donc utiliser sa technologie à des fins d'espionnage économique ou même militaire... Trois mois après le rapport du sénateur Bockel recommandant « une totale interdiction des routeurs chinois » en France et même en Europe, les équipementiers télécoms chinois Huawei, le numéro deux mondial, et ZTE, le cinquième, se retrouvent à nouveau au cœur d'une polémique : cette fois aux Etats-Unis. La semaine dernière, la commission du renseignement de la Chambre des représentants a présenté un rapport aux conclusions sans appel. « Sur la base d'informations classifiées et non classifiées, Huawei et ZTE ne peuvent pas garantir leur indépendance par rapport à l'influence d'un Etat étranger et cela pose donc en conséquence une menace pour la sécurité des Etats-Unis et notre système », indique le rapport. Il est ainsi fortement déconseillé aux opérateurs américains de faire affaire avec ces fournisseurs chinois, qui sont invités à « trouver un autre prestataire s'ils se soucient de la propriété intellectuelle, de la vie privée de leurs clients ou encore de la sécurité nationale des Etats-Unis », a déclaré Mike Rogers, président de la commission, lors d'un entretien dans une émission de CBS. La Commission du renseignement du Congrès américain recommande que les deux équipementiers « devraient être bannis des marchés publics ». La raison est assez simple, selon l'agence Reuters, qui a rapporté la nouvelle : l'indépendance de ZTE et Huawei vis-à-vis de l'Etat chinois ne peut être garantie. Dès lors, l'utilisation de leurs technologies sur le sol américain relève au mieux du risque, au pire de la menace d'espionnage. Néanmoins, un autre rapport commandité par le gouvernement américain ne va pas dans le même sens. Quelques jours seulement après le rapport de la Commission du renseignement du Congrès américain, l'exécutif a, en effet, publié les résultats d'une enquête sur un espionnage éventuel des réseaux du pays par l'intermédiaire des routeurs chinois. Selon les informations de l'agence de presse Reuters, qui dit avoir eu accès à deux sources proches du dossier, l'audit des risques de sécurité posés par ces routeurs et autres équipements de cœur de réseau n'a rien donné. Pas la moindre trace d'espionnage par le gouvernement chinois, selon l'enquête menée pendant 18 mois. Les résultats tombent à temps pour Huawei et ZTE qui ne cessent de plaider leur bonne foi. Le rapport met néanmoins en avant quelques risques pour la sécurité des réseaux américains. Des vulnérabilités ont été découvertes par les experts en charge du dossier, qui pourraient être exploitées par des hackers. Ont-elles été placées délibérément ? L'agence de presse pose la question mais admet n'avoir reçu aucune réponse. Le rapport n'est apparemment pas clair à ce propos. Rappelons qu'en Europe, et notamment en France, la question fait rage depuis la publication du rapport d'information du sénateur Jean-Marie Bockel sur la cyberdéfense, cet été. Il préconisait déjà l'exclusion des équipements chinois dans la mise en place des réseaux vitaux. A l'époque, les critiques l'avaient accusé d'être ouvertement anti-chinois, tandis que certains rappelaient au passage tout le jeu de propagande qui se cache généralement dans la confusion entre cyberattaques et Chine. Le rapport du Congrès américain renforce néanmoins la proposition du sénateur Jean-Marie Bockel. Celui-ci s'est d'ailleurs prononcé à nouveau pour le bannissement des équipements chinois dans les réseaux critiques. Il dit avoir « rencontré Huawei et ZTE » depuis son rapport, ce qu'il n'avait pas fait avant, mais n'a visiblement pas été convaincu. Il insiste sur la création d'une « doctrine » en matière de cyberdéfense. Quel impact aura le rapport américain sur l'Europe ? Faut-il légiférer ? Propagande économique de l'Occident ou réelle menace ? Autant de questions, sans réponse pour le moment. Ces attaques surviennent dans un nouveau contexte marqué par la montée en puissance de l'industrie technologique chinoise. En quelques années, les équipementiers chinois se sont, en effet, imposés comme des acteurs incontournables des réseaux (notamment dans la 3G), grignotant rapidement des parts de marché. A l'image de toute l'industrie chinoise d'ailleurs. Huawei et ZTE sont même devenus des acteurs de premier plan des terminaux. Selon le bureau d'études Gartner, ZTE est désormais le 8e mondial devant HTC avec 28,7 millions d'unités vendues en 2010, contre 16 millions en 2009. Huawei est 10e avec 23,8 millions d'unités, contre 13,4 millions un an plus tôt. Cette montée en puissance fait grincer beaucoup de dents. Les critiques et les rumeurs pleuvent depuis quelques années déjà. Les firmes chinoises sont ainsi régulièrement accusées de casser les prix pour remporter des contrats, de pratiquer la corruption, d'être inféodées à l'armée chinoise ou au parti communiste, de piller les technologies et les brevets, de menacer la sécurité des pays où elles prennent des participations dans des entreprises sensibles, notamment aux Etats-Unis (affaire 3Com, 3Leaf), etc. Du côté chinois, les entreprises incriminées redoublent d'opérations de communication pour se disculper tandis que la version des officiels est portée par un long commentaire du portail Chinenouvelle.com qui démonte les arguments du rapport du sénat américain. « Pourtant, si l'on examine ce rapport et les articles de presse concernés, il n'est pas difficile de constater qu'il est peu convaincant », écrit la publication chinoise. Premièrement, le rapport manque de preuves solides pour étayer sa conclusion. Deuxièmement, certains députés américains ont investi dans des sociétés concurrentes de Huawei, par conséquent leurs intérêts personnels pourraient avoir influé sur leur jugement. Troisièmement, il est évident que Washington utilise cette affaire comme carte politique. Par ailleurs, une analyse des investissements des 535 députés du Congrès américain publiée par le Chinese Business Journal révèle que ce rapport est non seulement politiquement motivé et plein de préjugés contre la Chine, mais qu'il répond en outre aux intérêts personnels des députés. Soixante-treize députés américains ont investi dans Cisco, le géant américain des télécommunications qui considère depuis longtemps Huawei comme son principal concurrent. Le Washington Post a obtenu récemment une présentation de sept pages datant de septembre 2011 distribuée par Cisco. Le document, intitulé « Huawei et la sécurité nationale », a été utilisé pour détourner les clients de son concurrent Huawei, a confié un employé de Cisco sous couvert de l'anonymat. Plus virulent est le commentaire publié sur le site ZDNet.fr par l'expert en cybercriminalité Pierre Caron, après la parution du rapport Bockel : « C'est donc ce débat, d'une mauvaise foi incroyable, qui est importé dans la vie politique française par M. Bockel, qui propose rien moins qu'un embargo français, voire européen, contre les équipementiers télécom chinois en raison de « suspicions » (sic) de portes dérobées dans les matériels de cœur de réseau de ces fabricants. Pardon ? Non, vous ne rêvez pas, M. Bockel propose réellement de bousculer un pan entier de la politique économique française sur la base de simples suspicions. »