Comment faire face à la fuite des cerveaux ? Cette question est posée en Algérie depuis les années 80. Et jusqu'au jour d'aujourd'hui, elle reste sans réponse. Pour bien cerner cette problématique, le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD) a décidé d'associer experts et chercheurs venus du Maroc, de Mauritanie et de Tunisie. Ils ont été réunis, hier, à Alger, dans un atelier technique maghrébin pour dresser un état des lieux sur les migrations des scientifiques (enseignants universitaires, chercheurs, ingénieurs et médecins). « Cet état des lieux vise à mettre en relief les principales dimensions de cette migration et revoir la conceptualisation de cette notion, autant dans la littérature universelle que dans les formes de sa manifestation dans cette sous-région, à mettre en exergue les tendances récentes observées et leurs effets sur le développement des pays du Maghreb, identifier et analyser les actions engagées par chaque pays pour la régulation des mouvements migratoires et proposer des mesures concrètes pour bénéficier du savoir-faire et de l'expérience de la diaspora maghrébine », a expliqué le directeur du CREAD, Mohammed-Yacine Ferfera. Justement, sur ce dernier point, le professeur Hocine Labdelaoui, du laboratoire du changement social à l'Université d'Alger, a souligné que la mobilisation des compétences de la diaspora algérienne enregistre, au cours de ces dernières années, une évolution sensible. « La participation des compétences installées à l'étranger au développement du pays d'origine se réalise aussi bien dans le cadre de retour qu'à travers des interventions à distance », soutient-il. D'où la nécessité, selon lui, d'exposer des éléments de réflexion sur l'évolution des compétences et la mise en place d'une stratégie algérienne de gestion de la fuite des cerveaux dans le contexte actuel. Mais cela est-il suffisant face à ce que Mohamed Saïb Musette, directeur de recherche au CREAD, appelle l'accélération de la migration des Maghrébins de niveau supérieur observée durant la première décennie du XXIe siècle. Selon lui, l'analyse va en profondeur avec l'exploitation des données de l'enquête « Emploi » en 2012 de l'Institut national français de la statistique et des études économiques avec une description de la situation des migrants maghrébins en France où l'on découvre « le brain wast (gaspillage des cerveaux) parmi nos scientifiques ». Le bon côté de l'émigration de l'élite Néanmoins, pour le professeur Mongi Bouhgzala de l'Université de Tunis, la fuite des cerveaux est certes une préoccupation sérieuse pour le pays, mais la migration des qualifiés ne génère pas que des effets négatifs. « Bien au contraire, elle peut créer une incitation à investir dans le capital humain résultant de la perspective d'émigration et de la possibilité de trouver un emploi plus rémunérateur à l'étranger », a-t-il estimé. A l'évidence, l'émigration pourrait aussi être « une opportunité pour acquérir plus de savoir-faire dans le pays de destination et dont le pays d'origine pourrait bénéficier en cas de retour ». Cette thèse est soutenue par le Dr Mohamed Kouini, de l'Université de Gafsa (Tunisie), pour qui l'idée de base de cette nouvelle hypothèse est simple et met en évidence les importantes modifications de la structure du capital humain dans le pays d'origine. Evoquant les compétences mauritaniennes à l'étranger, le Pr Cheïkh Saâd Bouh Kamara, de l'Université de Nouakchott, a indiqué qu'elles sont, depuis un certain temps, sous les feux de la rampe. « L'analyse des différentes tendances des pays d'accueil des boursiers mauritaniens à l'étranger montre que les cinq premiers pays d'accueil des étudiants migrants sont l'Algérie, le Maroc, le Sénégal, la France et la Tunisie », relève-t-il. Il déplore, cependant, que depuis l'indépendance, la Mauritanie souffre d'un déficit de compétences dans tous les domaines. « Force est de constater que la fuite des compétences ne s'est pas limitée aux diplômés sans emploi car de nombreux cadres expérimentés ont fini par quitter le pays via les grandes institutions internationales. » Le docteur Aomar Ibourk, professeur et directeur du Groupe de recherche en économie sociale (GRES) à l'Université Cadi-Ayyad de Marrakech, observe, pour sa part, que la migration des compétences de haut niveau constitue l'une des principales formes de mutation du phénomène migratoire au Maroc. « L'intérêt d'étudier cette question réside dans ses impacts sur le développement scientifique, économique et social d'un pays en voie de développement à la recherche d'une meilleure intégration dans une mondialisation marquée par l'économie du savoir et de la connaissance », explique-t-il. Car, selon lui, peu d'enquêtes et de recherches sont consacrées à cette question.