Treize jours après le début des manifestations, Moubarak Hosni, qui joue la montre, tant qu'il dispose encore du soutien de l'armée, n'a pas «dégagé». Jusqu'à quand ? La rue réclame son départ immédiat. Omar Souleïmane dialogue avec l'opposition, y compris, pour la première fois en un demi-siècle, les Frères musulmans, pour trouver une issue à la crise politique, et les « scénarios » de « sortie honorable » pour le Raïs se multiplient. Dont celui suggéré par le « Conseil des sages » : permettre à Moubarak de confier ses pouvoirs à son vice-président, conformément à l'article 139 de la Constitution, pour entamer la transition tout en continuant son mandat. Jusqu'ici hostiles au dialogue avec les autorités avant le départ de Moubarak, les Frères musulmans se sont ravisés pour montrer que leur mouvement est un acteur incontournable du changement en Egypte où 20 à 30% de la population lui sont acquis. « Nous avons décidé de nous engager dans un cycle de dialogue pour évaluer le sérieux des autorités en ce qui concerne les revendications de la population et leur volonté d'y répondre », explique Mohamed Badie, le leader des Frères musulmans, avant de qualifier d'«insuffisantes» les réformes proposées par le président Moubarak pour sortir de la crise politique qui secoue le pays. Comme les représentants du Wafd, du Tagammou, du Mouvement des jeunes du 6 Avril, un regroupement pro-démocratie sans affiliation religieuse, des figures politiques indépendantes, ils ont discuté avec le vice-président égyptien sur le départ du président, la transition et l'élection d'un nouveau président et d'un nouveau Parlement représentatif. A la différence des Européens et des Israéliens qui considèrent les Frères musulmans comme de dangereux extrémistes, Hillary Clinton soutient ces discussions qui ont débouché sur la création, d'ici la première semaine de mars, d'un comité pour étudier et proposer des amendements constitutionnels et des amendements législatifs. Outre ces « amendements » et la garantie donnée par les « Frères » qu'ils ne veulent pas gouverner mais participer au processus politique qui se met en place, les participants à ce « dialogue national », initié par le pouvoir pour permettre « une transition pacifique du pouvoir basée sur la Constitution », ont évoqué les cas des « prisonniers politiques », la liberté de la presse, les ingérences étrangères et la levée de l'état d'urgence. Comme attendu, l'ex-chef des services de renseignement a signifié clairement à ses interlocuteurs son refus de chasser Moubarak pour assumer ses pouvoirs de président, selon un plan approuvé par les Américains. Autrement dit, l'opposition égyptienne attendra, après la formation d'un gouvernement de transition, la « tenue dans l'ordre des élections prévues en septembre », dixit la patronne de la diplomatie américaine. « Entendre (...) que Moubarak doit rester et conduire le changement, et que le processus reposerait essentiellement sur son plus proche conseiller militaire, qui n'est pas la personnalité la plus populaire en Egypte, sans partage du pouvoir avec les civils, serait très décevant », estime Mohamed ElBaradei, prix Nobel de la paix. Comme Amr Moussa, secrétaire de la Ligue arabe, qui n'exclut pas de se présenter à la succession de Moubarak, il souhaite, au grand dam des Frères musulmans qui font leur possible pour maintenir l'armée à l'écart des négociations, discuter avec l'état-major pour organiser « une transition sans effusion de sang ». Certains redoutent déjà une « fissure » du front qui ne pourrait profiter qu'aux « islamistes » qui ont relevé la tête en Egypte. Selon plusieurs analystes, Moubarak conservera une fonction symbolique durant cette « transition ordonnée, pacifique » et « qui commence maintenant », selon Barack Obama qui planche sur plusieurs scénarios de sortie de crise de leur allié stratégique au Proche-Orient. Nabil el-Arabi, l'ancien ambassadeur à l'ONU, et Ahmad Kamal Aboul Magd, l'ex-ministre de l'Information, auraient rencontré Ahmad Chafic, le Premier ministre, et Omar Souleïmane pour leur présenter la proposition élaborée par un «comité de sages». Selon le politologue Amr Choubaki, l'idée serait que Moubarak «délègue ses pouvoirs au vice-président afin qu'il puisse terminer son mandat, ce qui lui permettrait une sortie honorable» et pourrait contenter l'opinion qui n'aspire pas à l'humiliation du chef de l'Etat mais au changement. Obama aurait lancé un ultimatum à Omar Souleïman lui enjoignant de destituer Moubarak. Clinton, Robert Gates et l'amiral Mike Mullen ont réitéré cette volonté à leurs interlocuteurs égyptiens. Depuis, ils attendent « des gestes » et restent à la baguette dans les tractations politiques au Caire où la vie a repris hier son cours.