Une bonne nouvelle : l'Algérie se normalise. Vendredi dernier à minuit, elle a troqué l'état d'urgence en vigueur dans le pays depuis 19 ans au profit d'une démarche encore plus vigoureuse de son développement. Instauré pour rendre plus efficace la lutte anti-terroriste, l'état d'urgence vient de disparaître comme il était venu : en silence. Il était sans doute temps que les Algériens s'affranchissent d'un dispositif auquel le gouvernement de la décennie 1990 avait dû recourir pour répondre à une situation chaotique et potentiellement très dangereuse. Pour les citoyens qui n'ont pas encore atteint l'âge de raison aujourd'hui, à cette époque-là, l'Algérie avait besoin d'être dotée de moyens pour vaincre l'un des plus grands fléaux que la terre ait jamais porté : le terrorisme islamiste, une géhenne à ciel ouvert à laquelle rien ne prédestinait notre pays. Aujourd'hui qu'on ne se sent plus totalement ciblé par le dévoiement religieux de certains de nos compatriotes - on ne choisit pas son peuple ! Le moment est venu de prier pour qu'à l'avenir nos dirigeants ne s'avisent plus jamais à recourir à ce type d'alternative pour anticiper la subversion. L'annonce des obsèques de l'état d'urgence eut lieu la semaine dernière, à la veille d'un week-end. Quel sentiment sa suppression a-t-elle suscité dans l'opinion publique? En toute bonne foi, on s'attendait à ce qu'au moins une partie de la population en fasse son deuil en défilant dans les rues de nos villes et villages. Mais rien n'y fit, la population est restée de glace, sans se préoccuper du qu'en dira-t-on ! Comme s'il s'agissait d'un non-événement. Une telle indifférence peut en effet paraître pour le moins suspecte. Les Algériens insensibles ? Ils devraient faire un effort pour ne pas le paraître. Qu'en pense le citoyen lambda ? La plupart des gens auxquels nous nous sommes adressés pour nous enquérir d'un tel manque de compassion ne sont pas allés par quatre chemins. Depuis 19 ans qu'il existe, disent-ils, l'état d'urgence ne nous a jamais semblé pesant et d'ailleurs pour nombre d'entre- nous «il n'a jamais existé !». A moins que les hommes politiques dits de l'opposition ne soient dotés d'une sensibilité différente de la nôtre «sur nous, l'état d'urgence, renchérissent-ils, ne nous a jamais pesés». UN TOUR DES CAFES ET … La sensibilité de l'Algérien serait-elle différente de celle de ses congénères ? Sûrement pas. C'est simplement qu'il n'est pas dupe et, pour lui faire passer des vessies pour des lanternes, il faut se lever de bonne heure. D'ailleurs pour lui, prétendre parler un langage civilisé comme le lui montrent chaque jour les chaînes de télévision étrangères où l'insulte et la caricature sont censément bannies, signifie être et parler hypocritement ! C'est ce même motif qui fait considérer la civilisation par Jean Jacques Rousseau d'hypocrisie. Malgré ça chez nous, on ignore l'endiguement de la parole, à plus forte raison quand il s'agit d'opinion. Pour forger la sienne le citoyen s'en remet souvent aux clameurs des cafés maures. Ces lieux intournables de notre vie de tous les jours qui remplissent parfaitement leur fonction d'exutoire permettent souvent au citoyen de se soustraire au poids des efforts qu'il met à réprimer sa colère face à l'intox que véhicule les discours politiques fondés sur la hargne et le sectarisme.. Pour écrire ce «papier», nous avons fait le tour des cafés qui comptent parmi les plus influents d'Alger comme sources de la rumeur. Que pense-t-on de la fin de l'état d'urgence dans ces hauts lieux de convivialité? A condition d'insister, les clients répondent : à dire vrai, disent-ils, « nous n'avons jamais su ce que signifie un état d'urgence tant il ne semblait exister qu'à travers la législation qui le gère. En plus, nous ne l'avons jamais rencontré ». Alors pourquoi tant de rage en prévision de la marche prévue samedi à la place des Martyrs ? Je préfère vous épargner les noms d'oiseaux qu'ils ont utilisés pour qualifier les promoteurs de la marche. Ils auraient dû, disent-ils, se contenter de leur premier essai à Tizi-Ouzou. Et ensuite basta, abandonner la partie ! Non contents d'avoir subi un cinglant démenti lors du premier essai, ils se sont rabattus sur Alger en visant la place du 1er Mai, croyant dur comme fer, qu'ils atteindraient les mêmes performances de mobilisation que le FIS durant les années 90, c'est-à-dire au temps où l'Algérie bravait seule les injonctions du FMI. FIS, … que sais-je encore !, même combat ? Si c'était le cas il serait temps d'envisager un tri juste et méritoire de la classe partisane d'opposition pour éviter d'autres déboires à l'avenir. Concentrant ensuite leurs neurones sur la bêtise humaine, certains nous ont confiés que si les marcheurs et leurs commanditaires s'étaient penchés d'un peu plus près sur leurs deux premiers échecs, ils auraient au moins compris toute l'étendue de leur incapacité à mobiliser les Algériens, un peuple si souvent échaudé qu'il en est devenu méfiant. Voici leur raisonnement ? S'agissant du cndc et du RCD qui, apparemment, semblent se soucier plus que d'autres de la démocratie, nos interlocuteurs s'interrogent et posent des questions. Puisque d'après l'interprétation en vigueur de l'orthodoxie politique, la démocratie suppose l'alternance au pouvoir, pourquoi, se demandent-ils alors, les leaders de ces deux partis trônent-ils toujours au sommet de leurs formations respectives depuis leur création? Problème interne et secret, nous n'en connaîtrions sûrement pas la vérité de notre vivant. D'ECHEC EN ECHEC Ne quittons pas pour autant les marches des yeux. Pourquoi le comité national de coordination pour le changement et la démocratie (CNCD) s'est–il emberlificoté en suggérant au brainstorming du RCD les marches, les premières à Tizi-Ouzou et à Bejaia et ensuite à Alger? En tout état de cause par manque d'expérience d'une part et sûrement aussi de nez. Passons sur celles de Tizi-Ouzou et de Bejaia dont le déroulement a eu lieu dans le fief même du RCD dans la mesure où, ne serait-ce que par solidarité régionale, elles n'auraient pas connu d'échec compromettant. Mais comme ce n'était pas suffisant on a ciblé Alger. Soit ! Mais là aussi le même échec va se reproduire. Le CNCD n'avait-il pas compris que la démocratie est basée sur deux facteurs fondamentaux : le Cratos qui signifie pouvoir et le radical «démo» que les Grecs anciens eux-mêmes traduisaient par peuple. Or, le peuple dans n'importe quelle problématique n'a jamais cessé de signifier le plus grand nombre, autrement dit la majorité. Lors de la première marche tentée au Champ de manœuvre, pardon à la place du 1er Mai, les marcheurs, comme on l'avait prétendu dans la soirée, n'étaient pas 3000 mais tout juste 400 encore que dans ces cas là la comptabilité est toujours suspecte au regard des chercheurs de vérité. Et pour être prodigues disons qu'ils étaient 1000 et même 5 000. Mais ils n'étaient pas des millions. Car pour gagner la partie dans une marche que le RCD considérait comme primordiale pour lui permettre de reprendre une place respectable sur l'échiquier politique national, il lui aurait fallu mobiliser des dizaines de millions d'Algériens. En outre, dans ce cadre particulier du marketing politique, nos compatriotes sont restés méfiants de ces leaders qui, pour un oui ou un non, sautent dans un avion pour se rendre à Paris, non pas pour faire des emplettes, mais pour aller exposer leurs émois contre l'Algérie sur des plateaux de télévision minés par avance.