Chaque matin, il accomplit le même rituel avec une ponctualité de métronome. Il fait ses ablutions, sa prière et s'en va dans le jour brumeux qui s'annonce. Il arrive au garage de la commune et grimpe aussitôt derrière la benne du camion. Une fois il a reçu un seau d'eau grisâtre sur tout le corps. Il était triste, en regardant le bâtiment. Les hommes étaient au balcon et personne n'osa compatir à sa mésaventure. Pourtant, ce médecin de la rue, éboueur rémunéré au SMIG, s'acquitte de sa tâche avec conscience. C'est pourtant l'histoire vraie d'un éboueur d'Aïn-Naâdja. Face à ce méfait, notre médecin de la rue dit avoir très bien étudié le profil de notre société, rien qu'en triant les poubelles. Il dit aussi connaître notre société «très gaspilleuse et les sachets en plastique débordent quotidiennement de pain et de restes de repas, qui – et c'est un crime – terminent dans les bennes à ordures. Des spaghettis sauce tomate, des haricots, du riz et suprême hérésie, du couscous. Cet aliment véhicule beaucoup plus qu'une simple composition céréalière. C'est un symbole, un mythe, un bienfait de Dieu. Et le voilà gisant parmi les pots de yaourt, les sachets de lait et toutes les ordures», lance-t-il à l'adresse des «balconistes» qui sont restés de marbre et que l'imam de la mosquée du quartier, en prenant connaissance de cet acte, a qualifiés «d'orduriers» le responsable de l'ignoble geste. C'est aussi par cette phrase très significatif qu'il a expliqué la grandeur de ce noble métier : «l'ordurier – traduction littérale d'éboueur – n'est pas celui qui débarrasse les poubelles, mais celui qui les jette et jette une eau grisâtre sur celui qui nous débarrasse de nos ordures». Une leçon de civisme pour la main criminelle qui a jeté du haut d'un balcon cette eau grisâtre sur un homme qui a fini par prendre cette «agression» comme une continuité de la misère et des risques que ses collègues et lui endurent au quotidien. Les risques ? «Ce sont aussi ces tessons traîtres disséminés dans les sachets et qui ont plus d'une fois blessés nos médecins de la rue. Des morceaux de ferraille et toute la panoplie d'objets dangereux enfouis dans des sacs. Dommage ! Les gens jettent n'importe comment et il ne leur viendra jamais à l'idée d'envelopper convenablement les débris. Toutefois, une chose est sûre, notre cantonnier, lui, il est d'une propreté qui frise la manie et il a appris à ses enfants, de ne rien jeter par terre et à sa femme, de ne pas jeter les restes par le balcon, même s'il s'agit d'une eau grisâtre. Aussi, il ne tendra jamais sa main trop calleuse d'avoir ramassé tant d'ordures, tant d'immondices, mais propre. Comme son pain. Propre et digne». Enfin, de quoi je me mêle ? Khelli l'bir beghtah. Rabah Khazini