Vécu L?écran de fumée, qui trouble sans cesse les perspectives de création de nouveaux emplois, n?est guère pour décourager une certaine race de jeunes, lesquels ont compris le sens du «compter sur soi». Ont-ils saisi des astuces pour échapper à l?emprise du chômage chronique ? Sont-ils nés sous l?étoile de la passion du lucre ? Ce nouveau type de travailleurs roublards et responsables est-il légion à Oran ? Bref, sous d?autres cieux, on appelle ces débrouillards des self-made-men. Ils n?ont, le plus souvent, pas beaucoup d?argent lorsqu?ils débutent l?aventure. En fait, ils n?ont que des efforts physiques à fournir et des procédés ingénieux à mettre en pratique. Et les voilà, avec le concours de circonstances favorables et le temps, logés à une bien meilleure enseigne. Les quelques self-made-men que nous avons rencontrés arborent un sourire qui manifeste quelque aisance franche, mais qui traduit cependant un curieux scepticisme. Il y a ceux qui ont tourné le dos à une profession assurée mais peu rémunératrice, et ceux qui n?ont jamais mis les pieds dans une entreprise publique ou privée. Ali B. a débuté cahin-caha et tout timidement en vendant quelques galettes maison. Le temps des pénuries ajouté au goût particulier de ce pain traditionnel a, sans doute, encouragé Ali à doubler sa production. Aujourd'hui, il a un point de vente incontournable dans l?un des marchés de la ville et roule carrosse. Ses copains, qui ont cru à l?émigration sans jamais réussir grand-chose, lui tirent chapeau et le respectent. Cependant, Ali demeure le même, généreux et très sympathique. Hamid, lui aussi, s?estime heureux de ce qu?il a entrepris depuis quelques années. Les voyages incessants effectués vers l?autre rive de la Méditerranée lui ont conféré autant d?expériences de vie que de satisfactions matérielles. Les lourdes valises qu?il a portées n?ont pas été une action vaine malgré les déboires aux frontières et les coups bas du marché parallèle. Sa grande joie réside dans l'acquisition de son logement et, par conséquent, son indépendance de jeune de moins de trente ans. De nos jours, il est vrai que c?est une véritable prouesse que d?obtenir un chez-soi... C?est également le cas de Aziz B. qui, en quatre ans de labeur, a acheté son logement, introduisant ainsi une note de gaieté dans son milieu familial. Aziz est un ex-administrateur qui dit avoir des regrets d?avoir trop traîné la savate dans les couloirs et autres bureaux feutrés. D?Oran à Tamanrasset, rien n?a changé dans sa situation. Il s?est bercé d?illusions en partant pour le Sud. Car y travailler et s?y installer reviennent plus cher et la vie y est moins agréable que sur le littoral. Aziz n?avait pu avoir un petit toit en sept ans d?exercice dans une administration de wilaya. Il décide alors d?abandonner le secteur tertiaire pour tenter autre chose en fréquentant assidûment des spécialistes en sérigraphie. Aujourd?hui, cette spécialité est devenue son gagne-pain. Quant à Houari F. , il est de ce genre de self-made-man arrivé un peu sur le tard, à la différence de Ali, Hamid et Aziz, nettement plus jeunes. Les cheveux grisonnants de Houari sont le fait de plusieurs années passées debout sur l?estrade des salles de cours dans un lycée. Professeur de physique, il n?arrivait pas à boucler ses fins de mois. «Il fallait me décider et un beau jour j?ai quitté l?enseignement. Trop de boulot et des harcèlements de toute part. Et tout cela pour des miettes.» Houari, en marchand ambulant, s?est affairé à acheter et vendre de la pièce détachée. En trois ans, il est déjà organisé. Il tient un magasin et pratique toujours la même activité. Houari n?est pas très disert en matière de chiffres et calculs bien qu?il ait été professeur de physique. Cependant, le look qu?il affiche et la voiture qu?il possède renseignent sur la différence entre l?enseignant et le commerçant...