Les enfants apprennent à l'école à dire h'anafya, «robinet» mais, à la maison et dans la rue, personne ne songe à employer ce mot. On dit plutôt : l'aïn. Ainsi, efteh' l'aïn, «ouvre le robinet», eghleq el'aïn, «ferme le robinet». Et quand, coupures de la société de distribution des eaux obligent, l'eau ne coule pas, on dit : l'aïn nachfa, «le robinet est à sec». Le mot aïn désigne, au sens propre, l'?il et c'est par métaphore qu'il en est venu à désigner la source, puis le robinet. Quel rapport peut-il y avoir entre l'?il et la source ? C'est sans doute dans l'analogie de l'?il pleurant avec l'eau coulant qu'il faut la chercher ! Quant au passage de «source» à «robinet», c'est à l'évolution de la langue qu'il faut l'imputer : on se sert des anciennes dénominations, ici la source, pour désigner de nouvelles réalités, ici le robinet dans le système d'eau courante. Le berbère a emprunté à l'arabe aïni dans le sens de «robinet» et, plus rarement de «source». Pour la source, on dispose de dénominations propres comme tala et aghbalu. Ici, le robinet est encore appelé tabernint, d'un verbe bren, signifiant «tourner» et acherchur, d'un verbe charchar signifiant «couler, s?écouler», mot désignant aussi la cascade. Tous ces mots, arabes et berbères, sont employés pour désigner, dans la toponymie des lieux, villes et villages. Ainsi, pour 'Aïn, on a Aïn Lkbira, «la grande source», Aïn Bayda, «la source blanche», Aïn Defla, «source du laurier-rose», pour tala, on a Tala Guilef «la fontaine du sanglier», Télemly, quartier d'Alger, dont le nom doit se lire Tala melli, «la fontaine de l'argile blanche»... Il y a aussi, dans un mariage subtil, des composés arabo-berbères : Aïn Oussera, «la vieille source», Aïn Témouchent, «la source du chacal femelle», Bir Ghbalou, «le puits de la source», etc.