Descente n À la lumière des torches et des lampes à l'huile, la petite troupe s'avance. Ils sont une trentaine d'hommes venus des villages de Lucan et de Biddulph. Pour se faire plus discrets, ils ont laissé leurs chevaux un peu arrière, sur la route. Tous marchent en essayant de faire le moins de bruit possible. Mis à part quelques chuchotements, seul le crissement de leurs pas dans la neige trahis leur présence. Il faut dire que la nuit est glaciale et la neige a été abondante depuis le début de l'hiver. Des conditions qui ne font que rendre leur progression plus difficile, sinon pénible. Bientôt les hommes voient apparaître leur destination : une modeste maison de ferme en bois rond à deux étages. Avec d'infinies précautions, les hommes s'approchent par l'arrière de la cabane où ils forment un demi-cercle devant la porte. Dans leurs mains, ils tiennent des gourdins, des haches et même des fourches. Ils ne sont visiblement pas là pour festoyer. Puis, celui qui apparemment dirige cette horde — un solide gaillard dans la quarantaine — s'avance vers la porte qu'il pousse sans retenue : c'est le signal. Dans un boucan d'enfer, une demi-douzaine d'hommes envahissent la maison. D'un pas rapide, ils traversent la cuisine et pénètrent dans une chambre du fond. Là, étendu sur sa couche, un jeune homme dans la vingtaine essaie de comprendre ce qui se passe. Mais déjà des mains se referment sur lui et l‘immobilisent. En moins de deux, il est menotté et traîné dans la cuisine. Bientôt des cris fusent de partout. Réveillés par cette intrusion nocturne, tous les autres locataires de la maisonnée — un couple d'âge mûr et une femme dans la vingtaine — accourent dans la cuisine où ils sont réunis autour du jeune homme déjà menotté. Dans la petite maison de bois rond de Roman Line, on se prépare à jouer le dernier acte d'un drame débuté 30 ans plus tôt. À la fin des années 1840, les Donnelly, une famille d‘immigrants irlandais, débarquent à Lucan, un village situé à cheval sur les comtés de Huron et de Middlesex en Ontario. Il y a là James Donnelly, sa femme Johannah et leurs deux fils, James Jr et William. La communauté de Lucan étant exclusivement irlandaise, les Donnelly s'y sentent aussitôt chez-eux. Ils décident de s'installer sur un vaste terrain de 100 acres, encore en friche, situé tout au bout de Roman Line, une sorte de « trouée de terre « qui traverse les bois reliant Lucan au village voisin de Biddulph. Officiellement, cette terre est la propriété d'un certain John Grâce, mais ce détail n'empêche pas James Donnelly de s'y installer et d'y entreprendre la construction d'une habitation. Il faut dire à la décharge de l'Irlandais que ce genre d'occupation sauvage est pratique courante dans l'arrière pays. En cette période de « colonisation «, certaines terres de la Couronne peuvent être cédées à des squatters, comme les Donnelly, si ceux-ci se chargent de les rendre arables. Aussitôt les premiers murs de sa maison érigés, l'Irlandais entreprend de défricher sa terre. A Suivre…