Elodie Menetret examine la petite pièce où elle vient d'entrer en ce froid après-midi du 6 décembre 1983. Tout est propre, rangé avec soin. L'atelier de couture de Sophie Mercier, situé dans une rue populeuse des Buttes-Chaumont, est tout ce qu'il y a de classique. Elodie Menetret regarde maintenant la couturière. Elle non plus n'a rien d'extraordinaire dans son aspect : la cinquantaine, grande, mince, les cheveux noirs ramenés en chignon... Est-ce que cette amie qui lui a indiqué l'adresse de Sophie Mercier ne se serait pas trompée ou n'aurait pas exagéré un peu ?... De son côté, Sophie Mercier observe, intriguée, cette inconnue qui se tient devant elle sans rien dire. Elle doit avoir quarante-cinq ans. Elle est restée jolie, avec sa blondeur replète qui n'est pas sans charme. Elle n'est certainement pas du quartier, comme le sont toutes ses clientes. D'ailleurs, elle a la curieuse impression que ce n'est pas une cliente. Sophie Mercier se décide à rompre le silence qui commençait à devenir gênant. — Madame... Que désirez-vous ? — Eh bien ... je ne suis pas très fixée... Il y a encore un silence et puis l'arrivante prend la parole précipitamment. — Il faut que je vous dise la vérité : c'est une amie qui m'a conseillé de venir vous voir. Elle m'a dit que vous aviez, enfin.., des pouvoirs... — Des pouvoirs ? — Oui, que vous étiez médium, voyante... Sophie Mercier a un léger sourire. — Si l'on veut. C'est un don qui se transmet dans la famille. Mais je n'en ai jamais fait mon métier. Je m'en sers de temps en temps pour rendre service... Elodie Menetret s'approche d'elle, croisant les doigts dans une attitude suppliante. — Il s'agit de mon mari. Je voudrais le revoir... — Ilvous aquittée ? — Il est mort il y a un an. Pourriez-vous le faire apparaître avec des tables tournantes ou un autre moyen ? J'ai de l'argent, je vous paierai ! Sophie Mercier se met à réfléchir... L'argent... Un mot qui, pour elle, est synonyme de soucis sans nombre. Divorcée, sans enfants, ancienne employée de la haute couture au chômage, elle fait depuis des robes pour ses voisines et elle vivote tout juste. Se pourrait-il que ce fluide, qu'elle se vante de posséder et auquel on croit dans son entourage, lui serve à quelque chose ?... Elle déclare enfin : — Pour cela, il faudrait que je sois sur les lieux où il a vécu. Elodie Menetret répond avec empressement : — Venez chez moi. J'ai un grand pavillon en banlieue, à Villemomble. Vous resterez le temps qu'il faudra... Cette fois, il n'y a plus à hésiter et Sophie Mercier accepte... C'est ainsi que, ce 6 décembre 1983, deux femmes décident brusquement de rompre avec leur vie quotidienne pour évoquer un mort. 31 mai 1984 : près de six mois ont passé depuis l'installation de Sophie Mercier dans la villa d'Elodie Menetret, un vaste pavillon à deux étages, meublé avec un goût raffiné au milieu d'un grand parc. Sophie ne demanderait qu'à rester jusqu'à la fin de ses jours entourée des petits soins de son hôtesse. Seulement, elle sent bien que cela ne va pas durer. A suivre