Idéal n Les contes et légendes fourmillent de récits mettant en scène des personnages puissants, vaincus par des héros souvent chétifs, mais intelligents. L'intelligence est ce qu'il y a de plus précieux, dit la sagesse populaire algérienne, elle vaut plus que l'instruction. Car, dit-on, si on a l'instruction et que l'on ne sait pas se débrouiller dans la vie, à quoi cela peut-il servir ? Les contes et légendes fourmillent de récits mettant en scène des personnages riches ou puissants vaincus par des héros souvent pauvres et chétifs, mais qui possèdent justement l'intelligence. Ces héros ont pour nom Djeha, un personnage qui nous vient d'Orient, ou alors, pour rester dans le terroir, M'qidech, H'didouane ou encore cette mystérieuse Aïcha Mzbayel, Aïcha aux coups fourrés, dont nous raconterons un jour l'histoire. Aujourd'hui, c'est d'un personnage anonyme, la fille du bûcheron, dont nous parlerons. Son histoire, à quelques variantes près, se raconte dans l'Algérois, en Kabylie, dans le Constantinois ou encore dans les Aurès. La fille du bûcheron, dit la version que nous avons recueillie, vivait, il y a très longtemps, si longtemps, qu'on a oublié son nom et celui des autres protagonistes de l'histoire. Cependant, pour les besoins du récit, nous proposons de l'appeler Aïcha. Aïcha, donc, appartient à une famille pauvre comprenant, outre le père et la mère, trois autres filles et deux garçons. Le père et les fils sont bûcherons, gagnant leur vie à couper du bois dans les forêts et à le vendre. La mère s'occupe de la maison et travaille, quand on la sollicite, pour les voisines. Aïcha aide sa mère et, quand elle travaille ailleurs, s'acquitte de toutes les tâches domestiques : chaque matin, de bonne heure, elle va puiser l'eau à la fontaine voisine, elle lave le sol de l'unique pièce de la maison, prépare le repas, s'occupe des quelques bêtes que la famille possède, va à l'oued laver le linge et, le soir, alors que tout le monde dort, elle file la laine ou tricote. Ses sœurs, au lieu de l'aider, passent leurs journées à se prélasser, à se peigner et à se regarder dans des morceaux de glace, se demandant qui est la plus jolie. La mère et le père se désolent en voyant Aïcha faire le travail de ses sœurs. «Tu te dépenses trop. Au lieu de filer, tu devrais te mettre au lit ! — Le burnous de père est en lambeaux, dit la fillette, il faut lui en tisser un avant le début de l'hiver... Il faut penser aussi aux garçons !» Souvent, la mère se met en colère en voyant ses autres filles jouer aux coquettes. «Au lieu de vous mirer inlassablement, vous feriez mieux d'aider votre sœur qui est la seule à trimer. — Nous nous faisons belles dans l'espoir qu'on vienne demander nos mains», répondent les filles, sans cesser de se regarder dans leurs glaces. La mère, découragée par tant d'inconscience, hausse les épaules. «Qui viendrait demander la main de filles de bûcheron ?» Aïcha vient vers sa mère et la console : «Ma mère, ne te désespère pas... La Miséricorde de Dieu est sans limite ! Notre situation va changer un jour... — Hélas, ma fille, nous sommes pauvres et pauvres nous resterons toute notre vie !» (à suivre...)