Débat n En marge de la seconde édition du festival national du théâtre professionnel, un colloque consacré au théâtre arabe, et dont le thème est «le théâtre arabe, parcours et défis» débute aujourd'hui. Cette rencontre se veut une réflexion sur la pratique théâtrale dans le monde arabe, et notamment sur la question fondamentale qui même, jusqu'à présent, continue à susciter des débats contradictoires : y a-t-il vraiment un théâtre proprement arabe ? Les participants à ce séminaire tenteront d'y répondre. «Le théâtre est une forme d'expression artistique étrangère à la culture arabe», dira Abdenacer Khellaf, coordinateur du colloque, avant d'ajouter que «chez les Arabes, par le passé, il n'y avait pas de pratique théâtrale». Le théâtre est effectivement un art qui a vu le jour, d'abord chez les Grecs, dans l'Antiquité, avant de passer plus tard, en Europe, devenant ainsi un genre artistique à part entière, avec ses règles et son esthétique. Le théâtre, tel qu'il se pratique en Occident, a été introduit dans le monde arabe au XIXe siècle, lorsque la culture arabe fut agressée et altérée par la culture européenne. Il se trouve toutefois que l'esprit du théâtre a existé (et existe) dans la culture arabe et dans toutes les sociétés, ici comme ailleurs, et ce depuis l'aube du temps de l'humanité. Car le fait qu'un homme se tient debout face à une assistance – ou encore au milieu d'elle – et commence à raconter une histoire, se pourvoit de gestuelle et de tonalités vocales, et jouant tantôt le rôle du narrateur, tantôt des protagonistes qui campent le récit, l'on parle d'emblée et indéniablement de théâtre. La halqa devient une scène, et le conteur devient un comédien, et l'auditoire prend le rôle du public. Ainsi, le modèle d'el hakaouati (le conteur) ou d'el goual ( le diseur) se révèle également une forme de théâtre, puisque ce dernier endosse différents personnages, donc différents rôles. Mais cette forme de théâtre, donc cet héritage ou ce patrimoine ancestral, une spécificité théâtrale chez les sociétés traditionnelles et en l'occurrence chez les Arabes, n'a pas été exploitée et développée comme cela a été le cas en Occident. Elle n'a pas été définie, canonisée et circonscrite dans un discours structuré et réfléchi, et cela de manière à lui conférer une dimension intellectuelle et un caractère artistique. Elle est restée à l'état patrimonial, voir folklorique. Dans l'ensemble, hormis quelques expériences, par-ci par-là, par des dramaturges à l'exemple de Abdelkader Alloula qui, dans son théâtre, s'est profondément inspiré de la halqa, le théâtre arabe reste toujours une inspiration occidentale, même s'il y a parfois dans la pratique l'introduction de référents culturels typiquement locaux. Elle n'a toujours pas acquis sa propre expérience – et donc sa spécificité, voire son identité. Le théâtre arabe se fait sur le modèle occidental, et quand on assiste aux représentations, ce sont quasiment des adaptations. Des pièces puisées dans le répertoire universel. l Aujourd'hui, «le théâtre arabe vit une crise et un défi qu'il doit surmonter et relever», a déclaré le coordinateur du colloque, soulignant que «parmi ces défis auxquels il doit faire face, figure en bonne place la mondialisation». En effet, le monde, aujourd'hui, est enclin, malgré lui, à s'uniformiser et à s'incliner devant un seul modèle. Cette situation fait perdre à chacune des sociétés sa pécificité. Chacune perd ce qui fait d'elle une entité particulière, authentique. D'autres défis comme les nouvelles technologies guettent le théâtre arabe. «Avec l'expansion de l'Internet, le développement de la vidéo, de la télévision ou du cinéma, le théâtre se trouve fatalement dans une situation critique», a-t-il relevé. Et d'ajouter : «Il y a, aujourd'hui, un problème de devenir : quel avenir a le théâtre arabe en particulier, et le théâtre en général ?» Autre interrogation résultant de cette question : qu'en est-il du public ? Comment assurer sa pérennité, sa relève ? Puisque aujourd'hui un grand nombre préfèrent passer son temps dans les salles obscures ou devant la télévision ou l'Internet. «La place de la femme dans le discours théâtral constitue une autre problématique que le colloque tentera de cerner», a indiqué Abdenacer Khellaf, car le théâtre arabe est, à l'origine, un genre masculin, et il a évolué dans ce sens. «La femme, en tant qu'élément essentiel et complémentaire dans l'exercice théâtral, s'avère absente des planches, je dirai même carrément exclue des textes, donc notre réflexion constitue à réfléchir de manière à l'intégrer dans le discours théâtral et à lui restituer sa voix».