Autrefois il y avait un Père Derviche, qui allait de ci, de là, en mendiant... Un jour il s'installe à la porte d'une mosquée et les gens qui en sortaient après la prière lui donnent quelques sous. Un brave homme, qui avait dans sa poche une pièce d'or, la jette par erreur au Derviche. Or, il devait faire des achats en ville. Dans le magasin le vendeur lui demande : – Que voulez-vous ? – Deux mètres de cette étoffe, cinq mètres de celle-ci, dix mètres de celle-là. Il en fait couper juste pour une pièce d'or. Le vendeur lui empaquette le tout, mais au moment de payer il s'aperçoit qu'il n'a plus la pièce d'or en poche. «Sapristi !», se dit-il. «Qu'en ai-je fait ? L'aurais-je laissée tomber ?» Après réflexion, il se souvient l'avoir certainement donnée au Derviche par erreur. Il se précipite dans la rue, et que voit-il ? Le Derviche qui se promène bien tranquillement. Comme il n'ose pas dire : «Rends-moi ma pièce d'or», il commence à chanter : «Père Derviche ! La pièce d'or c'est toi qui l'as, toi qui l'as, toi qui l'as.» Le Derviche répond sur le même air : «Ah, mon fils ! Je ne l'ai pas, je ne l'ai pas, je ne l'ai pas.» Voyant que cela ne prenait pas, l'homme dit : «Allons voir le Cadi, il réglera notre affaire.» Les voilà tous les deux qui se mettent en route. Ils passent par Gargara, arrivent à Bilegi et rencontrent un berger qui conduit son troupeau sur le bord de la route : — Où allez-vous donc ? — Où veux-tu que nous allions ? Voilà, nous avons un différend, nous allons chez le Cadi. — Eh bien, dites voir un peu la raison. Le propriétaire de la pièce d'or se remet à chanter : «Père Derviche ! La pièce d'or c'est toi qui l'as, toi qui l'as, toi qui l'as.» Le Derviche répond sur le même air : «Ah, mon fils ! Je ne l'ai pas, je ne l'ai pas, je ne l'ai pas.» Cette chanson plut au berger qui prit sa flûte pour les accompagner : «Turlututu, turlututu...» Allez en route ! Le prenant comme témoin, ils l'emmènent avec son troupeau. Un peu plus loin, ils arrivent à la Passe d'Emir, où un Gitan est assis, bien tranquille, son violon à la main : — Où allez-vous donc ? — Où veux-tu que nous allions ? Voilà, nous avons un différend, nous allons chez le Cadi. — Eh bien, dites voir un peu la raison. Le propriétaire de la pièce d'or pousse la chansonnette : «Père Derviche ! La pièce d'or c'est toi qui l'as, toi qui l'as, toi qui l'as.» Le Derviche continue : «Ah, mon fils ! Je ne l'ai pas, je ne l'ai pas, je ne l'ai pas. Le berger avec sa flûte : «Turlututu, turlututu...» Le Gitan ajuste la clé du violon pour trouver le ton et commence : «Zzz, zzz, zzz...» Allez en route ! Le prenant comme témoin, ils l'emmènent avec eux, et les voilà partis tous les quatre. Dans la matinée, ils vont se présenter au Cadi, et avertissent l'huissier : «Nous avons un différend, nous voulons voir le Cadi.» Celui-ci prévient le Cadi, qui les appelle : «Dites voir un peu, quel est le sujet de votre discorde ?» (à suivre...)