Résumé de la 6e partie n Kassi apprend la mort de son fils, mais sa tristesse se manifeste par un besoin de vengeance quand il sait de quelle manière il a été tué... Il cita le texte des Kanouns sacrés, s'appuyant sur des exemples tirés des guerres intestines d'avant la conquête française. Il avait rassemblé sa karouba parce qu'elle était atteinte dans un de ses membres les meilleurs ; c'était à elle, suivant la coutume, de désigner la victime qui serait frappée pour payer la dette de sang. Suivant cette même coutume, on devait choisir une victime dont le rang, la valeur, la force, la beauté, équivaudraient aux qualités d'Ali, afin que la Prusse ressentît la même douleur, éprouvât une perte équivalente à celle ressentie par les clients de la famille. Pas un des Berbères présents ne s'étonna de la singularité de cette proposition, pas un n'objecta qu'une infime karouba de Kabyles ne pouvait s'attaquer à une nation comme la Prusse qui venait d'écraser la France. La logique du discours du père, sa conformité aux Kanouns, faisaient un devoir à chacun de s'incliner. Donc le vote fut unanime : Ali avait été tué en dehors du combat et son meurtre comportait rekba. On passa donc à l'estimation du dommage causé. Les éloges allèrent bon train, rien n'étant plus parfait que l'homme mort. Ali n'était-il pas jeune, beau, courageux, fils unique, l'espoir de la karouba, la terreur de ses ennemis ? Il fallait trouver en Prusse un homme pouvant rendre pareil service aux siens et cela paraissait aux Berbères ignorants, bien difficile. On chercha dans toutes les imaginations l'homme à désigner aux coups du meurtrier : personne ne connaissait de Prussien ni n'en avait vu. Enfin, un vieillard qui avait combattu dans toutes les guerres de l'indépendance, s'avisa de prononcer le mot de jenninar (un général). Ce fut une lumière dans le tâtonnement de tous ces Kabyles : on décida gravement que seul un général prussien pouvait être assez utile à son pays pour représenter la valeur physique et morale d'Ali. Il fut donc résolu que la rekba porterait sur un général. Au fond, les rusés qui ne se rendaient guère compte de ce qu'était un «jenninar» n'étaient pas fâchés de s'être débarrassés d'une discussion qu'ils estimaient oiseuse, car où aller le prendre, un jenninar ? Qui donc en avait vu ? Peut-être Kassi, peut-être le vieillard ? Mais cela n'engageait à rien. Kassi néanmoins posa la troisième question : quel homme de la karouba exécuterait la sentence ? Comme les rats de la fable, aucun ne voulut aller accrocher le grelot ; la mort d'Ali n'était pas près d'être vengée. Les parents se dérobaient à tour de rôle à l'honneur de devenir le bras de la karouba : l'un venait de se marier, l'autre avait des dettes, le troisième était trop vieux, le quatrième n'avait pas encore récolté ses figues... Le sergent assistait silencieux au déploiement de l'esprit inventif de ses parents ; il ne fit aucune protestation, ne voulant pas ouvrir les yeux des siens sur l'absurdité de leur vote. Il savait à quoi s'en tenir sur la possibilité de tuer un général à la tête de son armée. Pourtant, dans l'exaltation d'esprit où il se trouvait, le vote de sa karouba lui sembla indiquer la voie à suivre. (à suivre...)