Entretien réalisé par Azeddine Lateb LA TRIBUNE : Dans vos préoccupations poétiques, le lyrisme critique occupe une place prépondérante. Peut-on savoir d'où vient cette interrogation ? Est-ce que par le lyrisme, le subjectif saura se défendre dans ce monde froid ? JEAN-MICHEL MAULPOIX : Le lyrisme ne m'intéresse pas seulement comme expression subjective. Mes travaux se sont même attachés à rendre à cette notion la complexité qui lui est due, en rappelant que le lyrisme est lié à l'élévation, au sublime, voire au sacré. Il déborde le subjectif, ou plutôt invite à réfléchir sur la confrontation du sujet à ce qui l'excède. C'est un lieu de vivante et profonde réflexivité en poésie (les méditations, les odes, les hymnes, les élégies en sont nourris) et à ce titre il porte en lui une dimension critique importante. Pour conclure, ce qui m'intéresse dans cette notion est une double articulation, entre le subjectif et le sublime, entre l'expression subjective fiévreuse et la réflexivité critique. puisque l'étymologie de poésie, c'est faire et écrire sur la poésie, deux exercices différents, dans votre parcours personnel, où vous situez-vous dans les deux activités ? Il y a d'abord eu, très tôt, la poésie, dans son immédiateté, comme mode de rapport personnel au langage. Puis, avec les études, mais aussi avec la pratique de l'écriture, est venue la critique. La poésie subsiste malgré différents écueils. Les difficultés de la publication ainsi que l'absence d'un marché font que la poésie «végète». L'avenir de la poésie n'est-il pas dans la poésie pour reprendre le mot d'Edgar Morin ? Sans doute, puisque nous sommes tout pétris de mots ! La poésie peut s'éclipser de la scène sociale, elle n'en demeure pas moins vivante dans les cœurs et dans les bibliothèques ! Quelle est la situation de la poésie en France ? Trop large question, à laquelle j'ai essayé parfois de répondre en soulignant qu'elle est vouée au «peu» : petit public, petits tirages, petits éditeurs. Mais cela convient à sa nature : constituer un exigeant travail du langage dans un espace restreint. Dans l'Autre voix, Octavio Paz écrit, je cite : «La poésie est l'antidote de la technique et du marché. Dans les temps à venir, voilà quelle pourrait être sa fonction. Rien de plus, rien de moins.» Quelle est votre lecture ? Sans doute cette phrase est-elle très juste : ce que la poésie prend en considération est tout opposé à la technique et au marché. C'est pourquoi je n'aime guère les poètes «bricoleurs» qui, sous prétexte de performance, font souvent le jeu de l'époque et de ses médias… Est-ce que la globalisation bouleverse le poème qui est, d'une certaine manière, un lieu de résistance ? Je crois qu'elle lui ouvre de nouveaux horizons, de nouvelles confrontations, et lui autorise, donc, une nouvelle richesse intellectuelle. Je pense, aujourd'hui, beaucoup moins mon aventure propre en rapport étroit et électif avec l'hexagone.