Le chapelet s'égrène doucement, assurément, pareil à cette horloge qui nous compte les heures et les retire invariablement de notre existence. Ainsi, comme l'éternel sablier de notre vie, qui est retourné toujours à nouveau, la mort, une vérité incontournable et une leçon continue de la nature, nous apprend chaque jour, chaque instant que fait le Créateur, la disparition d'un des nôtres. Aujourd'hui, c'est encore une triste nouvelle qui nous vient avec une grande charge d'émotion, nous informant que notre ami et frère Hassen Bachir-Chérif, a rejoint le Seigneur. Oui, très tôt le matin, le téléphone sonne chez moi. Il était tout près, sur la table de nuit. Je décroche et avant de dire «oui, hallo !», je me suis rasséréné que c'était mon article du dimanche qui a paru et que mon ami Boudjemaâ, directeur de la Maison de la Presse, matinal comme à l'accoutumée, allait me l'annoncer. Parce qu'il lit la presse de bon matin. Mais en regardant la montre, il était moins de six heures du matin, j'ai eu comme un pincement au cœur. Une mauvaise nouvelle, me suis-je dit ! En effet, une très mauvaise nouvelle ! «Bachir, ed-deyem Allah !», me dit-il, d'une voix saccadée. Il était ému, au bord du sanglot... C'est le cœur, n'est-ce pas, lui dis-je ? Nous connaissons sa maladie. Oui, un arrêt cardiaque, me répondit-il, avec un soupir qui marquait son émotion vive et soudaine ... Mon épouse, à côté, n'en revenait pas, parce que la veille nous parlions de lui et de ses enfants Lotfi, Farah notamment sa dernière, la petite Zahia qui, avons-nous dit, porte le même prénom que la maman de Hassen et la mienne. Je suis consterné, à mon tour, comme Boudjemaâ, Nounou, Badro, Djakoune et d'autres. Je reste de glace, pendant un moment. Et, telle une secousse brutale, cette nouvelle qui m'est parvenue a fait que, spontanément, l'écheveau du temps commence à se dérouler rapidement, se dévidant avec douleur pour laisser place à de nombreux souvenirs qui viennent brusquement se bousculer dans ma tête, pour envahir ma pensée et la pointillent de petites et grandes aventures plaisantes où nous nous plions de rire jusqu'aux larmes. Mais je suis quand même, et encore sous le choc, par cette disparition de l'ami et non moins frère. Oui de l'ami et du frère de longue date, puisqu'il y a longtemps, alors jeune ministre dans le gouvernement du président Chadli, je l'ai eu comme conseiller à mon cabinet, chargé de la presse. Il était tout jeune, frais émoulu, sortant à peine de l'Ecole de journalisme, mais pétris de connaissances et de qualités. C'est pour cela qu'aujourd'hui, je peux dire honnêtement que je suis certainement plus triste que les autres amis, de nombreux amis qu'il a connus dans le cadre de sa profession. Je suis d'autant plus triste de cette disparition que je n'oserai qualifier de cruelle, comme le font malencontreusement, mais innocemment et sincèrement, certains qui rédigent des hommages ou des lettres posthumes après le décès de leurs chers disparus – la mort est une conséquence logique du destin –, que ma sensibilité et mon affection ne peuvent cacher, en ces moments de douleur, l'expression d'un profond chagrin et le sentiment du grand vide que laisse Hassen en nous…, chez toute la famille de la presse avec laquelle il a eu des moments passionnants. Et dans cette étape de deuil où l'émotion et la douleur occupent une place très importante dans notre culture populaire, prendre mon courage à deux mains et rédiger, rapidement, un article de cette propension, pour présenter mes meilleurs sentiments, ma fraternelle sympathie, mes condoléances et l'expression de ma sincère compassion à la famille de cet enfant dynamique de la presse algérienne, n'est pas un exercice de tout repos, surtout quand il s'agit de revisiter le parcours de celui qui, depuis sa prime jeunesse, ne vivait que pour son pays, son développement et son progrès. Alors, aujourd'hui, je prends ma plume, au nom de ses amis, tous ses amis de la presse et d'ailleurs, et je construits quelques bonnes phrases, sincères, honnêtes, comme je le fais souvent pour d'authentiques militants qui nous quittent, laissant derrière eux, le meilleur exemple d'une génération qui a tout donné à l'Algérie. Mon frère Hassen, permets-moi de me laisser aller à la brûlante bouffée de souvenirs qui vient de s'éteindre. Permets-moi, en ce jour triste pour l'ensemble de tes amis, mais surtout des membres de ta famille, de me remémorer l'ambiance que tu suscitais en notre compagnie et tes joies et tes colères, durant nos débats passionnés, lors de nos rencontres toutes les semaines, ces débats où nous exposions nos points de vue respectifs, en des confrontations ardentes, mais qui, toujours s'efforçaient d'être objectives. Permets-moi de me remémorer encore, afin de revisiter tes souvenirs et ta place dans nos cœurs, en ce jour difficile et pénible de ta disparition. Permets-moi de me remémorer l'homme, l'homme au trop plein d'énergie et de pétulance qui, en un ultime soupir, a quitté ce qu'il adorait le plus : sa famille, ses amis et - il ne cessait de nous seriner- son pays pour qui il a déployé d'énormes efforts. Pourrais-je le faire... ? Franchement non ! Et tu sauras m'excuser car, en pareille circonstance, la charge émotionnelle ne consent à ce que j'aille plus loin. Oui, je ne peux le faire, car aujourd'hui, la volonté de Dieu s'est exprimée. Aujourd'hui, tu nous quittes, laissant un grand vide dans nos cœurs meurtris. Et les amis et frères que nous sommes, parce qu'ayant été élevés dans la morale que nous nous sommes imposée, nous ne pouvons qu'arborer, avec fierté, les grandes qualités qui ont été les tiennes et la réussite du parcours par lequel tu as marqué ta vie, en attendant demain, cette inévitable reconnaissance du pays en un digne témoignage pour le journaliste-patriote que tu fus. Par ces modestes expressions qui véhiculent ma sincère reconnaissance, je ne sais si j'ai utilisé l'idiome et la sémantique qui conviennent à ta personne, à ton caractère, et qui, en même temps, reflètent mon grand et profond respect pour toi, mais tu sauras m'excuser si j'ai failli parce qu'enfin, je ne suis qu'un être humain…, qui a encore beaucoup à apprendre. Par ces mêmes expressions, je ne veux pas te pleurer, même si les larmes demeurent le seul remède pour apaiser mon incommensurable douleur, mais je préfère me recueillir dans le calme et la solidarité, les deux principales qualités des amis et des frères, en ayant à l'esprit que tu as laissé une partie de toi-même en chacun de nous. Ainsi, et à l'heure de l'adieu, je te dis tout simplement, tout calmement, avec la conviction du croyant que je suis, repose en paix, tu as laissé un beau pays qui se construit malgré toutes les contraintes du développement…, tu as laissé des amis, des compagnons de la presse qui œuvrent pour l'avènement d'un Etat fort… ceux-là t'expriment leur farouche détermination de ne jamais t'oublier. Repose en paix dans le Paradis du Firdaous et reçois aujourd'hui, avant même l'hommage sincère de ta corporation et du pays, la reconnaissance de celui qui t'a toujours apprécié.