Faut-il quitter la table quand la paix est desservie ? Le président palestinien, Mahmoud Abbas, préfère retenir sa colère plutôt que de jeter sa serviette. Et pourtant, il a de quoi le faire. Après tant de petits-déjeuners de paix qu'il a pris en compagnie d'Ehud Olmert, celui-ci vient de lui planter un couteau dans le dos. Comme tous ses prédécesseurs, il a exprimé ses désirs d'expansion. En attendant son éventuelle guerre déclarée à Ghaza, 1 400 nouveaux logements vont être construits à El Qods-Est, la partie orientale de la vieille ville que les Palestiniens veulent consacrer comme leur future capitale. Dommage collatéral, non ? Condoleezza Rice en a ressenti le regret mais que le gouvernement de Salim Al Fayed ne se précipite pas pour donner un coup de pied dans la bétonnière. Le nouveau plan de colonisation n'influera pas sur les négociations de paix, Annapolis est à des milliers de miles du chantier d'Olmert. Si réconfortante que soit la «Dame de fer» quand elle le veut bien. Cet état ne dure généralement que le temps d'un discours d'apaisement avant d'être rattrapé par la nature éternelle de l'alliance américano-israélienne. A Tel-Aviv, Tzipi Livni était là pour rappeler à son invitée que, pour ce qui est des pourparlers de paix en cours ou de ceux à venir, l'Etat hébreu ne renoncera jamais à El Qods, en sa totalité ! Les Palestiniens l'ont compris bien avant que la ministre israélienne des Affaires étrangères ne fasse ses premiers pas en politique. Des lustres qu'ils connaissent parfaitement cette symphonie du Vieux Monde que tentait de jouer Bill Clinton, autrement, à Camp David. L'oreille musicale de feu Arafat finissait par discerner les bonnes des mauvaises notes. Huit ans plus tard, le réformiste Abou Mazen cassera-t-il la baguette du «chef d'orchestre US» qui est en train de faire ses adieux sur les scènes européennes ? Il le voudrait bien mais la victoire politique du Hamas, assimilée à un véritable putsch par les Occidentaux, il ne la digère toujours pas. Libre à lui de ne pas la gober, au rythme où va l'expansionnisme de l'Etat hébreu, le centre de la future capitale de la Palestine indépendante risque d'être déplacé vers Ghaza. Evidemment que nul n'acceptera cet état de fait. Seulement, la politique honteuse des murs-frontière a causé assez de dégâts comme ça. De sa Moqataa, Mahmoud Abbas captera-t-il ce que W. Bush aura à dire à Tony Blair, le «spécialiste» du Proche-Orient qui ne sait plus au juste par quelle feuille de route il doit commencer ? A quelques mois de sa retraite, son ami Bush sait, lui, quelle position à adopter. S'il veut sortir par la grande porte, il doit capturer Ben Laden, vif ou mort. Puisque, s'il n'arrive pas à «caser» sa vision de deux Etats, ce ne serait pas trop grave. Il n'est pas le premier et ne sera pas le dernier qui aura édifié une montagne qui accouche du néant. D'un immuable statu quo dont profite Israël à ses larges aises. Bref, la Palestine occupée n'est pas le Kosovo et Mahmoud Abbas ne doit absolument pas s'attendre à ce que l'Occident proclame unilatéralement l'indépendance de son pays. Une aberration, une chimère. Au lieu de la symphonie du Nouveau Monde d'Antonín Dvorak, qui vient d'être jouée à Pristina au soir de l'adoption de la nouvelle Constitution, les Palestiniens, eux, continueront de siffler la symphonie du Vieux Monde. A travers laquelle le mot paix est griffonné au crayon. On efface et on recommence à zéro, seules les partitions de la guerre sont destinées à être parcourues dans tous les sens. A. D.