L'ambiance qui anime nos ville et cités dans les nuits du Ramadhan cèdera, comme il est de coutume, la place à une monotonie angoissante le jour de l'Aïd. Les commerçants n'ouvrent pas leurs boutiques, les transporteurs s'éclipsent. La capitale est «décrétée» ville morte. Le citoyen consommateur est ainsi livré à son sort. Il est tenu de prendre ses précautions pour réduire sa souffrance le jour de la fête, notamment en ce qui concerne les produits de première nécessité : le pain, le lait, le sucre… Interrogé sur cet état de fait, des responsables de familles algéroises n'arrivent pas à comprendre le fait que des boulangeries ne travaillent pas durant ces jours fériés. «Nous sommes tenues de nous approvisionner en pain et en semoule, sinon nous ne pourrons plus satisfaire la demande de nos enfants», lance une femme à un pâtissier où elle est venue acheter des gâteaux à quelques heures de la rupture du jeûne du 22ème jour du Ramadhan. Irrité par la remarque de la dame, le pâtissier s'est vu obligé de réagir. «Je comprends parfaitement vos besoins, ma sœur, mais nous ne pouvons rien faire face à cette situation. Nos travailleurs rentrent chez eux dans les villes de l'intérieur. C'est pour cette raison que nous suspendons notre activité les jours de la fête. C'est légitime pour nos travailleurs, ils vont passer la fête en famille», lui répondra-t-il. Les consommateurs n'ignorent pas ce facteur. Ils espèrent néanmoins profiter d'un service minimum qui leur épargnerait des soucis supplémentaires en période de fête. C'est ce que promet le syndicat des boulangers, affilié à l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA) pour la semaine prochaine. «Des instructions ont été données pour garantir le service minimum et ne pas priver les familles algériennes de pain», relève un animateur de cette organisation. Est-ce suffisant pour réaliser l'objectif recherché ? Les consommateurs sont sceptiques. Ils ont tellement été habitués à ce «black-out» qu'ils ne croient plus les promesses des uns et des autres. «Certains commerces ne doivent pas s'arrêter», s'indignent des consommateurs, qui estiment que «l'Algérie est le seul pays où l'activité est morte durant les jours de fête». D'autres citoyens semblent s'adapter à cette tendance. Ils prennent leurs précautions selon leurs besoins et moyens. Pour Samir, père de deux filles, l'explication est simple. «Les commerçants, tous genres confondus, ont fait leur beurre durant le mois de Ramadhan. Ils se mettent à compter les bénéfices qu'ils ont réalisés durant le mois sacré avec la récurrente flambée des prix», dira-t-il. Notre interlocuteur fera remarquer que c'est plutôt la tendance à ne pas reprendre du service au lendemain de la fête qui fait le plus mal aux gens. Même après l'Aïd, l'activité commerçante ne reprend pas : locaux fermés et paralysie des moyens de transport. L'ambiance restera ainsi morose, y compris les jours qui précéderont la fête. Les plus déçus par une telle situation iront jusqu'à s'interroger sur le pourquoi d'une fête dans un décor plus proche d'un huis clos que d'une kermesse. «On ne peut nullement parler de fête vu la sinistrose qui règne ces deux jours de l'Aïd», entend-on ici et là. Ces pratiques, qui se perpétuent chaque année au détriment des consommateurs et au mépris des lois, devraient naturellement faire réagir les pouvoirs publics. C'est manifestement loin d'être le cas. Les commerçants voient défiler devant leur porte des agents de la Direction de contrôle des prix. Sans plus. Même ces opérations de contrôle des prix tendent à perdre leur sens et leur utilité. Les directions du commerce ont-elles une responsabilité à ce niveau ? Les spécialistes du secteur relèvent que les commerçants exercent une activité libérale. Ce qui revient à comprendre que les pouvoirs publics n'ont droit de regard que sur certains aspects, à l'image de l'hygiène et de la tarification. Les directions du commerce, qui ne sont pas de dotées de prérogatives d'intervention obligeant les commerçants à ouvrir, n'y peuvent rien. C'est pour cette raison que les commerçants ferment au gré de leur humeur. Interrogés sur le sujet, les animateurs de l'UGCAA peinent à donner une réponse tranchée. «Notre souhait est de voir nos commerçants ouvrir les jours de fête et même pendant la nuit pour répondre à l'attente des citoyens. Nous avons toujours soutenu l'idée selon laquelle c'est le consommateur qui est l'acteur principal de toute action de nature commerciale. Mais, sur le terrain, les choses se présentent différemment. Les conditions des commerçants ne sont pas identiques. C'est pour cette raison qu'il est très difficile de leur forcer la main et de les obliger à ne pas fermer leurs locaux les jours de fête», déclare un membre de l'association. Mais au niveau de cette organisation syndicale, on ne perd pas espoir de voir les choses évoluer dans le bon sens. Que faudrait-il faire pour y parvenir et répondre à la demande du consommateur ? Rien n'est prévu pour le moment. «On va voir de près après le mois de Ramadhan et la fête de l'Aïd», ajoute notre interlocuteur. Une source nous a indiqué qu'au niveau de la rue Larbi Ben M'hidi, non loin du siège de l'Union générale des commerçants et artisans algériens, c'est un groupe de commerçants qui a pris l'initiative de rester au service du consommateur durant la nuit. La proposition a été saluée aussi bien par les commerçants exerçant dans cette rue que par les habitants qui voyaient la fin de la monotonie des lieux. L'initiative ne durera pas longtemps. Après quelques jours d'animation nocturne, la rue a sombré de nouveau dans un huis clos qui inquiéterait tout passant. Les Algériens se croisent ainsi les bras et prient pour que l'activité commerçante reprenne ses droits les jours de l'Aïd. Les soucis des citoyens en pareille circonstance ne se réduisent pas uniquement à la disponibilité des aliments de première nécessité. On s'inquiète également pour les moyens de transport qui font cruellement défaut. Le manque est partout aussi bien pour les trajets inter-wilayas que pour les déplacements inter-quartiers. Les longs déplacements en famille sont synonymes de corvée pour ceux qui ne possèdent pas de véhicule. C'est le parcours du combattant le jour de l'Aïd. Ceux qui pesaient acheter une voiture doivent trouver une autre solution : le crédit automobile qui a permis à des milliers de familles algériennes d'avoir un véhicule n'est plus en vigueur. D'où le recours nécessaire aux moyens de transport public. Rien de réjouissant à ce niveau non plus. Les usagers se plaignent constamment de la qualité de service des transports publics dans un contexte ordinaire. A Alger comme dans le reste des villes du pays, des citoyens témoignent qu'ils ont toujours été à la merci des rapaces et autres fraudeurs les jours de fête. C'est dans ce décor sinistre et angoissant que les Algériens vivent leurs fêtes. A. Y.