La pénurie des médicaments dans les pharmacies, voilà un sujet qui revient chaque fois sur le devant de la scène telle une rengaine. C'est dire que le phénomène est devenu tellement chronique et, par ricochet, si habituel ces dernières années que nos citoyens se sont vus dans l'obligation d'user des moyens les plus ingénieux pour se procurer les médicaments qui leur sont indispensables. Contacté par nos soins pour éclairer notre lanterne sur ce phénomène problématique, Belambri Messaoud, président du Syndicat national algérien des pharmaciens d'officine (Snapo), reconnaît d'emblée que les pénuries de médicaments «sont désormais bien installées dans notre quotidien». Ces dernières «touchent toutes les catégories de produits, à l'exemple des corticoïdes injectables, de la pilule contraceptive, des pommades ophtalmiques, des sirops antitussifs, de certains antihistaminiques et antibiotiques, des hormones, des collutoires et bains de bouche, etc. En vérité, on compte régulièrement entre 40 à 60 produits pharmaceutiques concernés par la pénurie. Par ailleurs, avec ces pénuries s'installent les ventes concomitantes ou les restrictions sur les quantités livrées. Nos commandes ne sont alors jamais convenablement honorées, et cela se répercute directement sur les malades», explique sans détour le premier responsable du SNAPO qui n'a eu de cesse de tirer la sonnette d'alarme sur les conséquences dangereuses sur la santé publique occasionnées par la pénurie des médicaments.Mais pourquoi ce problème prend-il une telle ampleur ? «On arrive difficilement à expliquer les raisons de ces pénuries répétées, mais nous sommes arrivés à la conclusion que l'organisation du marché du médicament doit être entièrement et totalement revue», relève à ce propos Belambri Messaoud. Selon notre interlocuteur, le problème n'est pas d'ordre financier, mais plutôt organisationnel. C'est pour cela que des mesures de régulation doivent être instaurées. «Il est paradoxal que, devant cette multitude d'acteurs dans le domaine du médicament sous différents statuts (importateurs nationaux, laboratoires internationaux, producteurs locaux), une telle situation continue à perdurer, avec en plus une augmentation constante et régulière de la facture d'importation de l'ordre de 20 à 30% par année», affirme encore le président du SNAPO qui préconise l'adoption en toute urgence de nouveaux dispositifs et mécanismes pour la régulation et l'organisation du marché du médicament en Algérie. Pour ce faire, il est important d'engager une sérieuse réflexion sur l'organisation du marché du médicament en Algérie. «Il y a d'excellents modèles dans le monde à ce sujet, notamment le modèle tunisien cité en référence par l'OMS, à travers, par exemple, la centralisation des achats, et un rôle régulateur de l'Etat plus important. Cela se répercutera même sur les prix du médicament, qui seront plus accessibles. Mais si rien n'est fait, nous continuerons toujours à recenser ces ruptures, et la facture de l'importation continuera à grimper inévitablement», décrète le porte-parole des pharmaciens et des gérants d'officine. Ainsi, pour le SNAPO, la réforme du marché doit passer aussi par la refonte du système des marges bénéficiaires. «Il est inconcevable de vouloir réussir la politique du générique, explique le président du SNAPO, et du produit local si des mesures spécifiques ne sont pas prises en matière de marge. Il est impossible de continuer à travailler avec un système de marges datant des années 1990, qui a un effet inflationniste sur les dépenses de la santé, et sur la facture d'importation. Ce système encourage, en effet, l'importation et la commercialisation des produits les plus chers. Tous les pays du monde, y compris les plus développés et les plus industrialisés, lorsqu'ils ont voulu rationaliser les dépenses du médicament, ont adopté de nouvelles marges en faveur de ce genre de produits. L'Algérie ne peut faire exception. La révision des marges est une condition fondamentale pour la régulation du marché.» D'autre part, les pharmaciens ne manquent pas de souligner que le réseau de distribution des médicaments a une part de responsabilité importante dans ce problème. «Il y a des importateurs qui sont en même temps grossistes-distributeurs, et dont les produits ne sont détenus et distribués que par eux-mêmes. On tombe, si vous voulez, dans le problème de “l'exclusivité”, pratiquée de cette manière, mais aussi par certains laboratoires qui remettent toutes leurs quantités importées à un seul et unique grossiste. C'est ainsi que des monopoles sont accordés ou autooctroyés. Cela induit par la suite des ventes concomitantes et les packs des produits dits “à proche péremption” ou «rossignols», à savoir invendables», confie Messaoud Belambri. Dans ce contexte, il convient de signaler que certaines wilayas de l'intérieur du pays souffrent davantage du manque de distributeurs de médicaments. Ce qui se répercute directement sur les approvisionnements des officines, note le SNAPO. Il faut dire que les grossistes se concentrent principalement au niveau des grandes villes. Et les rotations de distribution et d'approvisionnement ne sont pas les mêmes pour les officines des grandes villes que pour celles des villes de l'intérieur, ce qui est pénalisant non seulement pour les pharmaciens mais aussi pour les citoyens. Les délais de livraison et les conditions de disponibilité et d'accès au médicament ne sont donc pas les mêmes qu'au nord du pays. «Pour les wilayas du Sud, il faut reconnaître que c'est un véritable calvaire. L'éloignement des villes du Sud constitue un véritable handicap pour l'approvisionnement régulier et convenable des officines. Ajoutez à cela, les coûts du transport et les conditions climatiques particulières et extrêmement difficiles de ces régions. Les pénuries doivent être plus ressenties», admet sans fioritures Messaoud Belambri. Quant à la production nationale des médicaments, le SNAPO considère que «le développement de l'industrie pharmaceutique algérienne dépendra des moyens humains et matériels qui seront mis en place». Or, jusqu'à aujourd'hui, cette industrialisation est laissée à l'initiative de l'opérateur qui investit ce secteur. «L'Etat devrait imposer les mécanismes et définir un cadre pour cette industrie. Des objectifs doivent être fixés. Sans un travail d'accompagnement, d'orientation, et d'assistance, l'industrie ne décollera jamais dans notre pays. Ce n'est pas en se retrouvant avec un même médicament fabriqué par une dizaine de producteurs que nous allons diminuer le volume de nos importations ou que nous allons développer cette industrie. Par ailleurs, certains laboratoires étrangers annoncent la construction d'usines gigantesques et ultramodernes, mais nous ne voyons pas leurs produits. On a l'impression qu'elles tournent à 5% de leurs capacités de production. Il nous faut une production variée et de qualité. Il faudra aussi faire de grands efforts en matière de formation, car de nombreux producteurs locaux ont été obligés d'envoyer eux-mêmes les pharmaciens en formation à l'étranger (pour une spécialisation) pour assurer le fonctionnement de leurs usines», analyse Messaoud Belambri, premier responsable du SNAPO, lequel invite les pouvoirs publics à s'inspirer des exemples de réussite des industries pharmaceutiques jordanienne et saoudienne dont les produits envahissent à l'heure actuelle le marché algérien. Enfin, les pharmaciens insistent beaucoup sur le développement d'une politique pharmaceutique globale qui touchera tous les domaines : formation, planification, partenariat local et étranger. Il faut dire que, tant que nos producteurs demeurent abandonnés à leur sort, ils risqueront de ne pas tenir face aux multinationales qui, par le biais de leurs énormes moyens financiers et les moyens de pression dont ils disposent à travers des organismes internationaux (OMC, Banque mondiale, etc.), influent beaucoup sur les décisions stratégiques et politiques des pays en voie de développement. «D'un autre côté, ils sont très avares en matière de coopération, d'investissement, et de transfert de technologie», souligne le SNAPO qui croit dur comme fer que la pénurie des médicaments ne sera jamais résolue si l'Algérie ne développe pas une industrie pharmaceutique florissante. Et tout le défi est là… A. S.