Ils sont hors champ. On ne les voit pas. Les gens de la télé leur ont d'ailleurs donné un titre qui leur va comme un gant et traduit très justement leur situation : «djounoud el khaf'a» (les soldats invisibles ou de l'ombre). Et quand, parfois, ils sortent de l'ombre, qu'ils apparaissent, qu'on remarque leur présence, on n'y prête guère trop d'attention. Pourtant, ils sont incontournables, indispensables. Rien ne peut se faire sans eux. Aucun spectacle, aucune scène ni aucun plateau de tournage ou studio d'enregistrement ne pourrait fonctionner sans eux. Quel organisateur, quelle société d'événements, quel metteur en scène ou artiste pourrait prétendre se passer des services d'un technicien du son et/ou de la lumière, d'un caméraman, d'un accessoiriste, d'un machiniste, d'un décorateur…? La grève des intermittents du spectacle en France, en 2003, est la réponse la plus convaincante quant au rôle stratégique que jouent ces soldats de l'ombre. Des festivals d'été, et non des moindres, ont été perturbés. La revendication des intermittents était qu'on mette fin à cette intermittence et qu'ils aient un statut qui leur garantisse la stabilité et la pérennité de leur emploi. Qu'en est-il de la situation de nos intermittents du spectacle ? Elle est peu enviable. Ils assurent le bon déroulement de tous les spectacles et manifestations, comme tous leurs collègues étrangers, mais pas avec les mêmes moyens, encore moins les avantages et opportunités de formation et de perfectionnement dont disposent les intermittents dans ces pays où la culture et ceux qui la portent ont la place qu'ils méritent, dans la politique du pays comme dans le regard des responsables, à tous les niveaux. «Nous avons les compétences et un bon matériel… D'ailleurs, quand on nous écarte pour donner un marché en Algérie à des boîtes étrangères, il arrive souvent que ces mêmes boîtes nous sollicitent pour sous-traiter une partie du marché. Généralement, pour économiser le transport, elles nous demandent de leur trouver le matériel nécessaire pour la sonorisation d'une scène, ou carrément la scène clés en main. Notre seule faiblesse est dans l'éclairage numérique qui coûte très cher et dont l'utilisation nécessite une formation, qu'on peut toutefois négocier avec le fournisseur du matériel. Mais aucun banquier ne vous fera crédit pour l'achat d'un tel matériel, même si tu arrives à le convaincre que tu peux amortir l'investissement avec trois ou quatre spectacles…» nous a résumé un ingénieur du son qui, après avoir longtemps travaillé pour différentes institutions, a fini par fonder sa propre boîte et s'est mis à son compte. Et ce qui est valable pour le son et la lumière l'est tout autant pour le reste de ces métiers de la scène dont l'importance n'a d'égale que l'indifférence qu'on leur accorde. Nos intermittents du spectacle sont peut-être formés, mais rien de plus. Ils travaillent avec les moyens du bord, qui ne sont pas toujours le top de la high-tech. Quant au statut, ils rejoignent les artistes et les côtoient dans l'incertitude et la précarité comme ils le font sur la scène et les plateaux, en attendant des jours meilleurs… qui tardent. H. G.