Abderrahmene Chibane, vénérable président de l'Association des oulémas algériens, s'y est mis, lui aussi, pour réclamer le changement démocratique. Sous la toque en astrakan du jurisconsulte, l'imam a les idées politiques claires. Il ne veut plus de la vermoulue RADP, la République algérienne démocratique et populaire, burnous institutionnel du système algérien depuis l'indépendance. Le théologien qu'il est ne se fait pas prier pour appeler ses coreligionnaires à faire émerger en Algérie un «nouveau système politique». A l'image de tous les régimes arabes, grabataires et cacochymes, le système algérien est en fin de cycle. La demande impérieuse de changement démocratique dans le monde arabe a encore accentué le gérontisme de régimes usés même quand ils ont à leur tête de jeunes dictateurs comme au Maroc, en Syrie et en Jordanie. Partout, ce sont de grands corps fatigués qui utilisent leurs ultimes énergies pour se régénérer sans changer pour autant. Ici, la parole de cheikh Abderrahmene Chibane prend tout son relief : soit on change les choses nous-mêmes, soit d'autres nous imposeront le changement «comme ils veulent, et non comme on veut nous-mêmes». Et encore, on ne sait pas à quel prix. Le salut, y compris divin, réside donc dans le changement choisi, consensuel et ordonné. C'est la condition car «l'Algérie n'est pas à l'abri d'une explosion et d'une grande dissension». La solution ? Tout simplement, revenir à la Proclamation du 1er Novembre 1954 qui vise à établir «un Etat démocratique et social dans le cadre des principes de l'Islam». Objectif jamais atteint. Pour le réaliser, l'exégète coranique a sa petite idée sur la question : «Le régime parlementaire est plus efficient que le régime présidentiel.» Mais qu'importe alors que la deuxième république algérienne soit parlementaire comme le préconise le cheikh, qui a expérimenté le présidentialisme algérien sous toutes les coutures. Qu'importe aussi qu'il soit présidentiel. Tout compte fait, ce qui importe, dans les deux cas de figure, c'est l'existence d'équilibres de pouvoir, d'espaces de délibération libre, de voies de recours et de choix souverains respectés. Quand un imam aussi rigoriste que cheikh Chibane adopte la démocratie comme seconde religion, il faut qu'on l'écoute. Religieusement. Car aucun régime arabe n'est à l'abri de la survenue du big one démocratique. Inéluctable, il serait imposé, de l'intérieur, par les vagues populaires. Ou bien, de l'extérieur, par des forces coalisées dotées de bombardiers et d'un mandat de l'ONU. Dans ce cas, l'exemple libyen est instructif pour qui veut en tirer quelque enseignement. Les régimes rétifs au changement ou qui veulent le retarder savent désormais que le statu quo est aujourd'hui le pire ennemi des intérêts de leurs pays et de la souveraineté nationale. Aucun système, pas même ceux qui ont les plus gros matelas de pétrodollars, les puissances de feu militaires les plus redoutables et les polices les plus implacables, même celles qui ont le don d'ubiquité sécuritaire, n'est immunisé contre le changement. Et pas plus prémunis contre le risque de déchéance, sous la poussée des tsunamis populaires ou des déluges de bombes tombées du ciel ou parvenues de la mer. Aucun régime n'est à l'abri d'un Fukushima politique. Rien ne sert alors de colmater les brèches. Le chéquier social et le gourdin policier, pas plus que les tirs à balles réelles ne sauveront de l'inéluctable. Et pour que l'irréversible ne soit pas pour demain, évitons-le aujourd'hui. N. K.