Eric Cantona, le king de Manchester, le magnifique de Marseille, a dit un jour de profonde philosophie : «quand les mouettes suivent les chalutiers, c'est parce qu'elles pensent qu'il jetterait des sardines à la mer». Et nous, pauvres Algériens, tels les palmipèdes marins de Cantona, imaginions que le chalutier de l'EN de foot allait nous balancer des rougets de roche, un soir de 4 juin, dans la ville rouge de Marrakech. Illusion et désillusion ! C'est que l'enjeu dépassera toujours le jeu. Sinon on ne se demanderait jamais pourquoi quand onze gus, qu'on ne connaît ni de Messaoud ni de Messaouda, gagnent un match, un trophée ou un titre, des dizaines de millions d'autres, comme nous, se convainquent qu'ils ont gagné quelque chose ? Il se trouve que cette fois-ci, nos gars à nous, de vert vêtus, ont perdu plus qu'une rencontre de football et le pays, ses footeux, son foutu sport et son infoutu régime, croient, presque tous, qu'on a perdu quelque chose. «Quelque chose» qu'il aurait fallu gagner contre un adversaire qui, plus qu'un rival de taille ou un simple concurrent, est un ennemi intime. Il n'y avait qu'à voir les gazettes algériennes du lendemain de confrontation pour s'en convaincre. Le sang de nos confrères n'a fait qu'un tour et l'encre noire des papelards avait le rouge de la colère furibonde ! Un allegro furioso, on vous dit, joué à l'unisson mais avec quelques fulminantes fausses notes. Comme celle d'un canard arabisant qui a parlé de «défaite infâmante de la katiba verte». C'est ainsi, quand ça ne tourne pas rond, le folliculaire use de quelque hyperbole qui rappelle, de triste mémoire, une katiba de même couleur, entrainée alors par de sinistres émirs du GIA ! Si ce n'était pas du foot, on aurait frémi d'effroi à l'idée que les sélectionnés algériens de Marrakech allaient terroriser les Lions de l'Atlas autrement qu'avec des arguments techniques et des crampons pacifiques ! Une autre feuille, pas de choux, c'est certain, mais pas chouette du tout, a cru voir dans les chaussures de nos joueurs les chenilles d'un blindé T90 russe. Et, relation de cause à effet, elle a rêvé, cinq colonnes à la Une, d'un départ «à l'assaut du makhzen» (sic !). Preuve en est que le football mène à tout, à condition de savoir s'en servir. Et, surtout, de s'en sortir, avec le moins de buts dans le couffin et de sottises sur le papier. Démonstration est aussi faite que le ballon sphérique, quand il ne circule pas rond, cristallise les passions identitaires, libère des pulsions morbides et inspire des idées mortifères. Les Grecs, eux, n'avaient besoin que d'un petit coin pour philosopher. Un coin de jardin pour Epicure, un coin de porte pour Epictète, un coin de rue pour Aristote. A en croire les philosophes, il suffisait alors de tendre le doigt pour toucher de la pensée. Des doigts, certains de nos confrères ont en joué sur des claviers informatiques pour débagouler des inepties comme si le football, c'était la guerre en matchs aller-retour... Une paix armée sur fond de sable du désert, de conflit de même grains et de frontières hermétiquement closes comme certains esprits ensablées. A défaut de faire la guerre ou de la refaire, certains de nos supporteurs, dans les rédactions comme dans les travées du régime, jouent le match avant l'heure pour mieux le rejouer après coup. Et, ce coup-ci, Marrakech nous a rappelé que le stade est le reflet de la société, le miroir de la politique. Il en va donc de la presse comme il en va du gouvernement : il n'existe pas dans les deux cas d'esthètes de la trempe d'un Lionel Messi. Ah, ce Messi, prophète stratosphérique dont les pieds sont au football ce que la tête est au philosophe des Lumières ! On refait le match mais on ne refait pas un Algérien qui est à la fois supporteur, joueur, sélectionneur et commentateur, quand il ne regarde pas un match de football avec l'œil du dramaturge politique. S'ils étaient vivants, Saint-Augustin, Jugurtha, La Kahina, l'Emir Abdelkader, Abdelhamid Ben Badis, Zighout Youcef, Houari Boumediene, El Hadj M'hammed El Anka, Boualem Titiche, Hocine «Yamaha» du CR Belcourt et Khalti Mimouna de l'USM El Harrach auraient eu leur mot à dire sur le naufrage et les naufrageurs de Marrakech. Mais eux, mesdames et messieurs, ils l'auraient fait comme on aurait tiré un coup franc, brossé à la Michel Platini. Il aurait peut-être marqué un but symboliquement victorieux sans partir à l'assaut du makhzen. Ainsi va le Maghreb du foot, faute de Maghreb des peuples. Enfin, juste pour le fun et le fair-play, 4 à 0 de Marrakech oblige, disons au «Lion de Rekem», le belge Eric Gerets, intronisé Lion d'honneur de l'Atlas, wakha moulay ! N. K.