La Kabylie est une région à vocation agricole par excellence, qui ne remplit plus son rôle, et ce, depuis la mise en œuvre des multiples réformes agraires induites par des politiques incohérentes dans le domaine. Ce constat l'atteste, l'abandon des terres par leurs exploitants, aggravé par l'avancée du béton générant souvent des litiges et actions en justice entre agriculteurs qui cessent, dans ce cas, tout travail de la terre, et le détournement des terres de leur vocation initiale pour en faire des lots bâtis en dur d'activités commerciales plus lucratives aux yeux des propriétaires, en plus des problèmes pertinents de surcoûts des produits phytosanitaires, des matériels agricoles, des contraintes bancaires dans l'octroi de crédits, de la rareté et de la mauvaise qualité des semences. A la place des cultures de céréales et de pomme de terre, on est agressé par de grands parkings de stationnement de véhicules, de garages de mécanique, des projets dits d'utilité publique qui peuvent bien être construits ailleurs et des dépôts divers : en fait des zones urbaines anarchiques et non bénéfiques pour l'économie locale et autorisées, sous prétexte d'appartenance de ces terres au domaine privé. De l'avis même de responsables du secteur dans la wilaya de Tizi Ouzou, la conversion des terres agricoles en foncier urbain a bien eu lieu et la non-application des textes de loi a encouragé ces dépassements inquiétants pour la «sécurité alimentaire». Une étude du Cread (Centre de recherche en économie appliquée pour le développement) datant de plusieurs années, en vue du lancement d'un programme d'intensification des productions stratégiques, telles que les céréales, les légumes secs et la pomme de terre, a pourtant choisi la région de Kabylie comme zone pilote, en raison des bonnes aptitudes agro-pédologiques dont elle dispose, notamment pour l'implantation du programme de reproduction de semences de pomme de terre dans la vallée du Sébaou, qui s'étend de Draâ Ben Khedda, à l'ouest de Tizi Ouzou, jusqu'aux plaines de Fréha, à l'Est, sur environ une cinquantaine de kilomètres. Globalement, ce qu'il faudra relever dans ce tableau, très peu reluisant de la production agricole, est la présence faible des services de l'Etat et de ses représentants en charge de la «relance» de l'agriculture dans la région de Kabylie, mise à part pour des déclarations à effet médiatique et des promesses faites aux amoureux du travail de la terre durant les périodes électorales ou de crises. Par exemple, les aides aux petits agriculteurs se font rares, leur octroi passe par des contraintes administratives insoutenables et compliquées, et les demandes d'ouverture de pistes agricoles, constamment réitérées par les agriculteurs, sont vaines. Pour se faire une idée sur ce topo, il suffit de se pencher sur le vécu des agriculteurs dans les zones montagneuses de la Kabylie où les cultivateurs sont pratiquement délaissés, et vivent des situations proches de la misère. La wilaya de Tizi Ouzou, étant caractérisée par une agriculture de montagne traditionnelle, il serait judicieux d'exploiter ces segments de l'agriculture que sont les produits du terroir, à savoir l'arboriculture, l'huile d'olive, le miel, les différentes figues, l'élevage bovin et ovin, le lait de vache, les produits d'origine animale, pour essayer de limiter les retards dans la production agricole. D'ailleurs, un rapport, présenté récemment par la commission de l'agriculture, de l'hydraulique, de l'environnement, des forêts, de la pêche et de l'artisanat de l'APW de Tizi Ouzou, souligne que l'exploitation des terres de montagnes présente une alternative pour le développement du secteur de l'agriculture dans la wilaya. Et que «des mesures doivent être arrêtées pour permettre une stabilité et une amélioration des conditions de vie de la population agricole, particulièrement en zones montagneuses, restées en marge du développement depuis l'Indépendance», ont ajouté les membres de ladite commission. Ceci, sachant que dans les communes de montagne, les agriculteurs sont les agents économiques exclusifs locaux.La réalité est autre. Amère ! Les plaines sacrifiées, et la montagne déjà enclavée est marginalisée. Les arbres fruitiers, dont regorge la Kabylie, respirent mal, et leurs jours sont menacés par des facteurs humains et naturels, en l'absence d'une réaction à la hauteur du défi de la part des autorités du secteur à tous les niveaux. C'est le dépérissement des vergers et des oliveraies, pour cause d'absence de marchés réguliers et diversifiés, qui retient le plus l'attention des cultivateurs acharnés qui tiennent encore à produire des fruits du terroir, bio et sains et à des prix abordables, pour les petites bourses qui constituent l'écrasante majorité de la demande. Les cerisaies de Kabylie (la wilaya de Tizi Ouzou avec 42% est classée première en matière de concentration des vergers en Algérie), notamment Larbaâ Nath Irathen, Aïn El Hammam et Ath Ouacif, illustrent très bien ce déclin de l'agriculture de montagne dans la région. Dans la daïra de Larbaâ Nath Irathen, où se tient chaque été la Fête de la cerise, le cerisier n'occupe plus qu'un peu plus de 1 200 ha, l'équivalent d'environ 3% de la superficie arboricole de ses quatre communes. Le rendement des cerisaies, qui était de 22 qx par hectare durant les années 2000, a chuté de moitié par la suite pour atteindre le seuil alarmant de 14 quintaux par hectare. Les raisons ? Depuis l'an 2000 jusqu'à l'été 2011, 44% du verger est parti en fumée à cause d'un parasite, le Capnode, un parasite bien connu des services agricoles, sans oublier d'autres facteurs, tels que l'absence d'entretien adéquat des cerisaies, qui les mettent à mal. «Nous avons été à une fête des cerises sans cerises. La Fête de la cerise est une fête sans la mariée (cerise, ndlr)», ne cessent de répéter agriculteurs, participants et élus, à chaque édition de la Fête annuelle de Larbaâ Nath Irathen, et qui ne rencontrent en face que des promesses de programmes de réhabilitation et de plantation de nouveaux cerisaies de la part des autorités. Les visiteurs, et ils sont très nombreux comme à chaque fois, auront relevé que les stands réservés à la cerise étaient plutôt garnis de bijoux et autres articles traditionnels de décoration et de joaillerie. Des élus de l'APC de Larbaâ Nath Irathen ont affirmé, lors de récentes éditions de ladite fête, qu'un programme de plantation d'un millier d'hectares de cerisiers est en chantier, et que le traitement de plus de 12 000 ha de cerisaies est inclus dans ce plan de sauvegarde et de relance de la cerise dans cette région propice à cette culture millénaire. Au village Aït Allaoua, dans la commune montagneuse et pauvre d'Iboudrarène, à une cinquantaine de kilomètres de Tizi Ouzou, même schéma de la déchéance des cerisaies. Les villageois ont, eux aussi, tenté de redonner de l'espoir à la nouvelle génération et d'entretenir les attaches avec la terre, par l'organisation d'une fête dédiée à la cerise en 2010 avec le soutien de l'APC, du comité de village d'Aït Allaoua, de l'Association pour l'environnement d'Iboudrarène et du Parc national du Djurdjura (PND). Les mêmes contraintes matérielles et les mêmes dangers et maladies menacent et ravagent les récoltes. D'autres fellahs n'ont pas omis de souligner les dégâts qu'occasionnent les incendies criminels fréquents en Kabylie depuis l'été 2007.Il s'agit, alors, pour les propriétaires des lots de cerisaies de Haute Kabylie, de sauver de la disparition ce qui reste encore de leur culture. Labelliser ce produit local dans cette situation est-il possible ? Les perspectives sont pessimistes, malheureusement.