Le taux de participation aux législatives du 10 mai obsède les acteurs et observateurs de cette échéance électorale. Rarement, la voix du peuple algérien n'a été aussi convoitée. En plaçant la barre très haute sur l'importance de cet événement périodique, le pouvoir et les acteurs politiques ont fait de l'abstention -et plus grave, le boycott est érigé en blasphème patriotique- un monstre menaçant la cohésion et la stabilité territoriale du pays. Il ne s'agit plus dans ces législatives d'élire simplement le député qui siègera à l'APN, mais choisir entre la paix ou le chaos. Cette nouvelle approche transformant un droit constitutionnel en devoir patriotique place le taux de participation des électeurs au centre des enjeux politiques. Or, justement, de la politique le citoyen algérien se désintéresse. Par frustration, méfiance et «déshabitude», la rupture avec la chose politique est consommée. Le désintérêt manifesté par la population aux sollicitations des partis durant la campagne électorale, l'animosité manifestée à l'égard de certains candidats font augurer un fort taux d'abstention pour ces législatives. Il faut dire qu'après plus de deux semaines de casting, le spectacle de la campagne n'à fait qu'élargir le hiatus entre la chose politique et le citoyen algérien. Le piètre discours et autres argumentaires d'une platitude à faire rougir la Mitidja, bafouillé par l'écrasante majorité des candidats à la députation finiront par annihiler tout espoir de voir un jour, ce peuple réconcilié avec l'urne. Ainsi, la propagande électorale qui se déroule depuis le 15 avril a confirmé la misère de la scène politique claustrée par le pouvoir durant des décennies. La phobie de l'abstention a atteint un tel niveau, que des officiels algériens et autres représentants de partis crient au «loup» à chaque fois qu'un événement politique ou économique dû à des carences séculaires de gestion ressurgissent. Il en fut ainsi, pour l'épisode de l'augmentation du prix de la pomme de terre, de la menace de pénurie dans les stations-service ou de la régression phénoménale du pouvoir d'achat. A chaque fois, plusieurs responsables dont le ministre du Commerce ou le patron de l'Ugta font brandir la menace latente menée par des réseaux qui veulent nuire aux élections. Donc pour la stabilité du pays, les «agitateurs» qui mènent campagne pour le boycott sont arrêtés par les services de sécurité. Mais le spectre de l'abstention plane, par le désintérêt porté par la population à cet évènement, par les différents mouvements de contestation qui secouent plusieurs secteurs, par les affiches de candidats déchirées et les panneaux d'affichage saccagés dans les quartiers. Lors des législatives de mai 2007, le taux d'abstention enregistrait un record dans l'histoire de l'Algérie indépendante. Moins de 36% de participation. Le ministre de l'Intérieur de l'époque, Noureddine Yazid Zerhouni, expliquait cette défection par le changement d'adresse des citoyens ayant obtenu des logements et des femmes nouvellement mariées qui ne se sont pas enregistrés à temps pour voter. Il aura même cette explication anthologique que les familles algériennes se sont rendues à la plage. Il enverra plus tard des courriers aux abstentionnistes pour préciser leurs lieux de résidence. Donc, ce n'était pas une abstention politique, juste conjoncturelle. Et puis la stabilité du pays n'en a pas souffert pour autant. En plaçant les législatives du 10 mai 2012, dans la conjoncture internationale, les réformes politiques engagées depuis le 15 mars dernier et agitant le spectre de la menace étrangère sur le pays, le pouvoir s'est mis tout seul en posture délicate. En créant l'amalgame entre le vote pour des députés et l'adhésion du peuple aux réformes, il ouvre grande la voie des spéculations post-électorales. Il serait intéressant si cette défection se confirme, d'entendre les arguments qui seront soutenus par Dahou Ould Kablia, ministre actuel de l'Intérieur. La marge est réduite. S. A.