Photo : Riad Entretien réalisé par Badiaa Amarni Le regard que porte M. Messaoud Chettih, ex-P-DG de l'entreprise Sider, sur le secteur de la sidérurgie et de la métallurgie en Algérie, ainsi que sur le marché algérien dans ce domaine, est livré dans un entretien qu'il a accordé à la Tribune. En plus des répercussions de la crise financière sur le secteur, l'interviewé donne aussi son avis sur la situation actuelle du complexe d'El Hadjar La Tribune : Quel regard portez vous aujourd'hui, en tant que professionnel, sur le secteur de la métallurgie et de la sidérurgie en Algérie ? Messaoud Chettih : Ce que je regrette, et c'est là un regard tout à fait personnel, c'est le fait que l'Algérie ait pris un énorme retard dans ce domaine alors qu'elle était leader en matière de sidérurgie et, durant longtemps, l'un des premiers opérateurs. Alors que les sidérurgies arabes ont très fortement évolué ; l'Egypte est passée à une capacité de production de 7 millions de tonnes par an, l'Arabie saoudite à 8 millions de tonnes, avec en plus des programmes de développement, la Lybie a aussi évolué, et le Maroc a atteint 1 million de tonnes, nous autres Algériens sommes restés figés sur le seul complexe d'El Hadjar. Quelle est votre appréciation du marché algérien ? c'est l'un des marchés les plus porteurs du monde arabe puisque les quantités importées sont énormes, surtout concernant les aciers destinés à la construction. Les capacités actuelles ne satisfont que 15% ou, au mieux 20% de la demande, le reste est importé. La facture sur le rond à béton a dépassé en 2007 1,3 milliard de dollars, ce qui est énorme. Donc, le marché reste porteur et c'est pour ça qu'il y a des investissements qui sont annoncés et qui sont intéressants pour le pays. Car, aujourd'hui, il est temps que ce secteur revienne sur la scène pour les besoins du marché intérieur qui sont importants. On ne peut pas dépendre à ce niveau-là des importations. Quels sont ces projets annoncés ? Ils sont essentiellement au nombre de trois. Le projet d'El Azz, sidérurgiste égyptien de 1,5 million de tonnes, celui d'Arcelor Mittal, qui est de 2,5 millions de tonnes d'éponge de fer, et qui va jusqu'à 600 000 tonnes de rond à béton au niveau de la zone de Bellara, en plus du projet turc de 1 million de tonnes de rond à béton. Quel est, selon vous, l'impact de la crise financière internationale sur la filière ? A mon sens, il y a un double impact. Il est négatif sur le complexe d'El Hadjar, et ça s'explique par le fait que les prix ont diminué d'une façon drastique depuis le début du mois de septembre. Ils ont été divisés par deux, voire plus. Donc, si El Hadjar doit s'aligner sur ces prix et vendre moins cher les produits qu'il a fabriqués à partir de matières premières importées, il y a trois, quatre ou six mois, à des moments où les prix de ces matières étaient très très élevés, cela engendrera des pertes au niveau du complexe, générées par cette situation. En revanche, au niveau du marché, il y a un aspect positif qui apparaît à travers la diminution des prix constatés actuellement puisque le rond à béton, qui a atteint des pics de plus de 90 000 DA la tonne, se vend aujourd'hui à 56 000 DA, et cette baisse devrait, quelque peu, se poursuivre. Même si elle ne va pas durer, à mon sens, le marché va quand même en profiter. Est-ce que, justement, il y aura des répercussions positives sur le prix des logements ? Je l'espère personnellement, quoique le rond à béton et l'acier n'entrent qu'à hauteur de 10%, voire moins, dans la construction des logements. Donc, la part de l'acier n'est pas très élevée. Qu'en est-il du complexe d'El Hadjar ? L'Etat est en train de revoir le dossier. Peut-on avoir plus de détails à ce sujet ? Je suppose que ce sont là des spéculations. D'après mes informations, l'Etat algérien n'est pas en train de revoir ce dossier, mais il intervient par le biais des 30% qu'il détient dans le capital de cette usine, et il est parfaitement au courant du fonctionnement d'El Hadjar. Il est vrai que ce dernier affronte des difficultés, mais à mon sens, ces rumeurs de reprise du complexe par l'Etat ne sont que pures spéculations. Est-ce que l'entreprise Sider, avec les 30% qu'elle détient au niveau du complexe d'El Hadjar, a une marge de manœuvre face au partenaire étranger ? Le partenaire étranger et Sider ont un objectif commun et non contradictoire. Le but est que cette entreprise fonctionne très bien et qu'elle dégage des bénéfices. Le fait de détenir 30% n'a jamais constitué un handicap pour que Sider exprime son point de vue au sein du conseil d'administration ou ailleurs. D'un autre côté, il y a les accords de partenariat qui spécifient un certain nombre d'obligations aux deux parties. Vous savez, ces contrats de cession de 70% sont accompagnés d'un contrat de partenariat qui explicite bon nombre de condtions, le changement d'activité doit obtenir l'accord préalable de la partie algérienne, la fermeture éventuelle également… Sider n'est pas du tout désarmée par rapport à cela. Une fois de plus, je le redis, Sider et Arcelor ont des objectifs communs pour El Hadjar : rentabiliser l'usine et faire en sorte qu'elle fonctionne parfaitement, qu'elle produise mieux et plus et qu'elle dégage des bénéfices pour assurer les investissements et un fonctionnement normal. Mais il y a eu des grèves à plusieurs reprises et les employés disent qu'il y a des problèmes… Il y a eu des grèves, mais pas dans la période actuelle. Les deux parties se sont entendues à développer un climat social serein. Des négociations ont eu lieu entre la direction et le syndicat et ils sont d'accord pour assurer un climat social particulier. En contrepartie, il y a eu des améliorations salariales et autres. je crois que l'accord conclu arrive à échéance fin décembre. Il est prévu en janvier un autre accord mais à ma connaissance, il n'y a pas eu de grèves. Beaucoup de jeunes sans emploi, originaires de la région, désirent travailler dans cette usine, mais déplorent que les employés viennent toujours d'ailleurs... Je n'ai pas d'indications particulières là-dessus, et je n'ai pas entendu parler de cela. C'est vrai qu'il y a eu des problèmes à Sidi Amar et El Hadjar. D'après ce que je sais, il y a un travail qui se fait entre l'usine et les autorités locales pour que les meilleures solutions, en cas de création de postes de travail, soient consacrées, prioritairement, aux demandeurs d'emploi des zones locales et, s'il n'y a pas d'expertise, ils vont les chercher ailleurs, y compris à l'étranger. Vous avez dit qu'il est aujourd'hui nécessaire de réhabiliter les installations d'El Hadjar, peut-on avoir plus de détails ? Les installations sont solides parce qu'elles ont été construites selon des technologies soviétiques lourdes et massives, surtout la zone fonte. Cela dit, elles ont toutes besoin de réhabilitation. C'est là qu'il y a problème actuellement. La réhabilitation des installations devient une priorité. Le fait qu'il y ait eu des incidents -depuis le début de l'année, notamment l'explosion au niveau de l'aciérie numéro 2 et qui s'est renouvelée, même si elle n'est pas aussi grave que celle de février dernier-, montre qu'il y a une nécessité de réhabilitation et de mise à niveau, chose qui est tout à fait normale. J'évalue le besoin à un demi-milliard de dollars d'investissement pour réhabiliter toutes les installations.