Depuis 2007, l'explosion des prix des denrées alimentaires a eu des répercussions sur les déficits budgétaires, les balances commerciales et l'inflation ; elle a provoqué des mouvements de panique et des troubles sociaux dans certains pays. Les abondantes récoltes de riz et de blé en 2008 avaient peut-être apaisé certaines inquiétudes, mais les économies sont maintenant aux prises avec une aggravation de la crise économique mondiale. La baisse des cours des céréales est-elle un motif d'espoir ou la crise économique suscitera-t-elle un regain de crainte ? La situation des prix alimentaires a été débattue à Genève lors d'une réunion du BIT le mois dernier. BIT en ligne a demandé au Dr Riswanul Islam, Conseiller spécial sur la croissance, l'emploi et la réduction de la pauvreté, de faire le point sur l'impact de la crise alimentaire mondiale sur le travail décent et la pauvreté. Pour rappel, un rapport préparatoire à la réunion du G8 sur l'agriculture prévue du 18 au 20 avril en Italie réclame des "interventions immédiates" par rapport à la sécurité alimentaire. Il indique que la crise alimentaire, qui pourrait devenir structurelle si rien n'est fait, aura "de graves conséquences non seulement sur les relations commerciales, mais de même sur les relations sociales et internationales, lesquelles auront un impact direct sur la sécurité et la stabilité de la politique internationale". Même s'il est admis que les besoins en matières premières agricoles vont croissants et que le réchauffement climatique accentuera les dangers de pénurie et de flambée des prix, les pays riches continuent d'ignorer la question agricole. Au G20 de Londres, elle ne faisait pas partie des priorités, même si les Etats-Unis ont annoncé, à l'issue du sommet, qu'ils comptaient doubler leur aide à la production dans les régions pauvres, ou si la France veut lancer un fonds d'investissement pour aider l'agriculture africaine. L'indifférence n'est pas née avec la crise financière et économique. "Cela fait trente ans que cette question cruciale est sous-estimée", rappelle Sophie Bessis, directrice des recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Elle reconnaît que les experts en géostratégie eux-mêmes, qui commencent pourtant à s'intéresser à l'eau, négligent toujours la problématique agricole. Elle distingue, pour sa part, deux types de déstabilisation politique engendrée par l'agriculture : à l'échelle internationale, car depuis dix ans, c'est là-dessus qu'achoppent les négociations de libre-échange de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ; à l'échelle nationale, car les mécontentements sur la cherté des prix peuvent facilement déstabiliser les Etats en déficit de légitimité. Si dans les pays riches, la hausse des prix alimentaires a amené les consommateurs à acheter autrement, "en Afrique, elle s'analyse en termes de vie ou de mort, et cela menace l'existence même des Etats", a rappelé Aly Abou Sabaa, de la Banque africaine de développement, lors d'un récent colloque à la Banque de France. Plusieurs participants africains y ont rappelé les graves conséquences que peut entraîner l'inflation des prix alimentaires : des émeutes, mais aussi l'essor des migrations et du terrorisme, le développement de la culture de la drogue, comme en Afrique de l'Ouest, ou de la piraterie, comme en Somalie. Sans oublier les guerres que la faim a souvent provoquées. "L'inflation est beaucoup moins un risque que l'hypervolatilité des cours, que nous ne savons toujours pas maîtriser", précise de son côté Jacques Carle, délégué général du MOMA, un groupe de réflexion français. Selon ses calculs, la tonne de blé devrait régulièrement varier de 80 à 320 euros dans les prochaines années. Dans ces conditions, il sera difficile d'espérer une production mondiale stable, car les agriculteurs règlent leurs ensemencements sur le niveau des cours. Ainsi, en 2009, les Américains ont-ils décidé de mettre de nombreuses terres en jachère, dans l'attente d'une remontée des prix. D.T.