La présidentielle française de 2007 restera comme la lutte entre trois personnalités censées incarner le renouveau souhaité par les Français, plus qu'un affrontement gauche-droite autour d'un thème, estiment des politologues. Alors que le scrutin de 1995 s'était cristallisé sur le social et sa "fracture" et celui de 2002 sur l'insécurité, la campagne de 2007 a cherché à faire émerger le candidat le mieux à même d'incarner "l'idée qu'on se fait de l'intérêt général", selon le terme de Stéphane Rozès, de l'institut de sondages CSA. "Cette présidentielle ne ressemble à aucune autre, essentiellement parce qu'avant même la résolution de la crise économique et sociale, il s'agit de résoudre une crise morale", estime-t-il.Selon lui, "tous les pilotes automatiques de l'identité nationale sont en crise : à gauche l'idée de progrès, à droite, l'idée de marché et pour tous, l'Europe comme étant le prolongement de la France." "La grille de lecture de cette présidentielle, ce n'est pas l'axe horizontal du contenu des politiques qui structure l'axe gauche-droite, mais le fait que l'électorat recherche la cohérence verticale entre la personne, les valeurs qu'elle porte et son projet", déclare Stéphane Rozès. "L'attente, centrale, d'un changement, c'est ça finalement le vrai thème de la campagne", confirme Emmanuel Rivière, directeur du pôle politique au département stratégie d'opinions de l'institut TNS-Sofres. "Même si les Français disent qu'ils vont se décider d'abord par rapport aux projets, comme l'opposition entre ces projets n'est pas apparue de manière suffisamment claire, du coup, c'est la crédibilité des différentes personnalités qui est comparée", estime Jérôme Sainte-Marie, directeur du pôle opinion de l'institut BVA. Trois personnalités se sont détachées dans les sondages et apparaissent ainsi à même de porter cette attente de changement selon les enquêtes d'opinion : Nicolas Sarkozy, crédité de 27% à 30% des intentions de vote au premier tour suivant les instituts, Ségolène Royal, sur qui se portent 23% à 26% des choix et François Bayrou qui récolte 15% à 20% des suffrages. Le pen sans doute pas au second tour. "Le jeu à trois Ségolène Royal, François Bayrou et Nicolas Sarkozy se fait moins sur un thème que sur des postures, sur des capacités à incarner la fonction. On va regarder la manière dont une personne, du fait de ses qualités, de sa personnalité, est en soit une promesse de changement", indique Emmanuel Rivière. Selon Jérôme Sainte-Marie de BVA, la "crédibilité personnelle" de Nicolas Sarkozy est "beaucoup plus forte" que celle des autres candidats et compense des propositions en matière économique et sociale "très impopulaires". "Il apparaît plus cohérent dans son style, dans son comportement, ses prises de parole. Ses prises de position apparaissent plus argumentées", estime Jérôme Sainte-Marie. Dans ce contexte où les thèmes passent au second plan, Jean-Marie Le Pen, crédité de 13% à 16% des intentions de vote, ne semble pas être en position de jouer les invités-surprise du second tour comme en 2002. "Nos instruments ne montrent pas Jean-Marie Le Pen capable de se hisser au second tour. Il est à peu près au même niveau qu'en 2002, sauf que cette fois, il y a trois candidats autour de 20%. Il peut en manger un, mais pas deux", estime Emmanuel Rivière. "Pour nous, il n'y a aucune chance que Jean-Marie Le Pen soit au second tour parce que Nicolas Sarkozy lui a raflé une partie de son électorat et qu'il ne serait plus en capacité de jouer les trouble-fête comme en 2002", confirme Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département opinion publique à l'Ifop. "D'où peut-être ses critiques très virulentes à l'encontre de Nicolas Sarkozy ces derniers jours", ajoute-t-il. Si Jean-Marie Le Pen semble hors de portée du second tour et Nicolas Sarkozy à peu près certain de jouer la course en tête au premier tour, le jeu reste plus ouvert entre Ségolène Royal, deuxième dans les enquêtes d'opinion et François Bayrou, troisième, même si le candidat centriste n'a à aucun moment dépassé la candidate socialiste. Selon Emmanuel Rivière, il y a trois "attentes" des Français correspondant à trois clivages : une attente d'ordre, à laquelle répondrait plutôt Nicolas Sarkozy, une demande de protection par rapport à la mondialisation pour laquelle Ségolène Royal aurait l'avantage et une expression d'insatisfaction par rapport à la façon dont est menée la vie politique avec une demande de changement de la manière de gouverner. "Et là, François Bayrou n'est pas mal placé", estime-t-il. "Ce qui explique peut-être qu'il y a beaucoup d'hésitations, fait-il valoir. On verra dimanche quels candidats répondent au mieux à cette combinaison d'attentes".