Les difficultés rencontrées par United Technologies pour fabriquer et livrer à temps ses moteurs d'avions de nouvelle génération lui coûtent des milliards de dollars et fragilisent ses relations avec ses gros clients tels Airbus et Bombardier. Le conglomérat industriel américain a dû se résigner à l'inéluctable en annonçant mi-septembre que sa filiale Pratt & Whitney ne sera pas en mesure de livrer les 200 moteurs d'avions GTF (Geared Turbofan) qu'il s'était engagé à produire cette année. Ses clients ne recevront que 150 exemplaires. "Les compagnies aériennes ne sont pas contentes parce qu'elles ne vont pas recevoir les moteurs promis. Nous ne sommes pas contents non plus parce que nous n'honorons pas notre parole", avait alors regretté Greg Hayes, le P-DG d'United Technologies (UTC). Le groupe ne semble pas avoir trouvé une solution à court terme puisque M. Hayes s'attend à ce que l'année 2017 "reste difficile". 800 pièces "La principale crainte des investisseurs n'est pas tant les 50 (moteurs) manquants mais le risque que ne soit pas respecté le reste du calendrier initial qui prévoyait 200 unités en 2016, 400 en 2017 et 800 en 2018", redoute Myles Walton, expert chez Deutsche Bank. UTC attribue ses problèmes de livraisons à sa chaîne de fournisseurs et sous-traitants, qui n'arrive pas à suivre la montée des cadences de production. D'après M. Hayes, ce sont cinq pièces sur un total de 800 qui en sont la cause principale dont une pale de la soufflante. "Ce sont des soufflantes nouvellement conçues. Il y en a en alliage titane-aluminium qui sont fabriquées dans différents sites à travers le monde mais assemblées ensuite sur un même lieu", explique le dirigeant. Le motoriste souhaite aussi réduire la durée de production: "Aujourd'hui ça nous prend 60 jours pour fabriquer une soufflante. Nous devons y parvenir en 30", affirme M. Hayes. Contrairement aux précédentes générations de moteurs Pratt & Whitney, 80% des pièces du GTF sont fabriquées par des sous-traitants. Elles sont ensuite envoyées dans des centres de production du groupe dans le Connecticut (est), en Floride (sud-est), au Canada et en Allemagne où elles sont assemblées. Mais d'après UTC, environ 44% des quelque 1 600 sous-traitants ne livrent pas à temps les matériaux et pièces qui leur ont été commandés et certaines ne répondent pas aux exigences en termes de qualité et de contrôles. Retour à la normale en 2018 Le moteur GTF est un réacteur de nouvelle génération, bourré de technologies sophistiquées. Il est censé équiper les avions remotorisés de la famille A320 de l'avionneur européen Airbus et ceux de la série Cseries du canadien Bombardier. Six exemplaires sont en service, deux chez Lufthansa et quatre chez la compagnie low-cost indienne Indigo. Lors de son déploiement en 2015, ce moteur présentait des problèmes de "temps de mise en route" et un des ordinateurs de bord de l'appareil émettait des "messages d'erreur" inexpliqués. "Les investisseurs cherchent des signaux qui pointent vers une stabilisation de la chaîne de fournisseurs de GTF avant de nouveau croire en l'entreprise", avance l'expert Myles Walton. Les coûts de développement du GTF, présenté comme économe en carburant et moins bruyant, s'élèvent au total à 10 milliards de dollars, selon United Technologies, qui mise beaucoup sur ce moteur pour revenir dans la course face au duo General Electric/Safran et leur moteur de nouvelle génération Leap. Les difficultés du motoriste ont quelque peu refroidi ses relations avec ses principaux clients. "Beaucoup d'avions n'attendent plus que les moteurs", ne cesse de répéter Fabrice Brégier, le patron d'Airbus, à chaque fois qu'il est interrogé sur les retards d'United. Qatar Airways, un des gros clients d'Airbus, a annulé la commande de son tout premier exemplaire de l'A320neo et le constructeur canadien Bombardier a pour sa part retardé les livraisons de son programme d'avions CSeries avec un impact non négligeable sur son chiffre d'affaires. Estimant qu'il faudra de 9 à 10 mois pour rattraper le retard accumulé, Greg Hayes assure que "tout va rentrer dans l'ordre en 2018". Le temps presse d'autant plus qu'Airbus n'a pas dû apprécier de voir Qatar Airways passer, pour la première fois en quinze ans, une commande d'avions moyen-courrier 737 MAX Boeing, équipés du moteur Leap de la concurrence. Airbus Helicopters souffrira de la perte d'un contrat en Pologne La rupture par Varsovie des négociations avec la France autour de la vente de 50 hélicoptères multi-rôles Caracal représente un coup dur pour Airbus Helicopters, affecté par la morosité du secteur, et va le contraindre à prendre des "mesures d'adaptation". Evalué à 3,14 milliards d'euros, ce contrat représentait une bouffée d'oxygène pour la branche hélicoptères d'Airbus, plombée depuis deux ans par l'atonie du marché du pétrole et du gaz offshore en raison de la baisse des cours. Airbus Helicopters, qui revendique la première place sur le marché mondial des hélicoptères civils et la quatrième sur celui des engins militaires, opère sur un secteur traditionnellement porté par le secteur pétrolier off-shore ou les gros contrats militaires. Le groupe n'a livré que 395 appareils et enregistré 383 commandes en 2015, contre 471 appareils livrés et 402 commandes enregistrées un an auparavant. Il emploie environ 15 000 personnes en France et en Allemagne, dont près de 9 000 à son siège de Marignane, près de Marseille. Mais alors que son patron Guillaume Faury avait prévenu début 2016 qu'il se préparait "à une absence de commandes, ou pas de commandes significatives d'hélicoptères pour le secteur pétrole et gaz au cours des deux prochaines années", le groupe n'a pas fait le plein de contrats militaires depuis 2015, contrairement à ce qu'il espérait. Il a finalisé cette année un seul gros contrat dans le militaire, 30 Caracal au Koweït pour plus d'un milliard d'euros, ainsi qu'un autre de moindre importance au profit de l'armée britannique pour des hélicoptères H135 destinés à la formation de pilotes. 2015 ne fut guère mieux, avec un seul contrat militaire finalisé en Corée du Sud, alors que le groupe espérait en boucler trois d'importance, dont la commande de 50 Caracal en Pologne. M. Faury a indiqué aux syndicats en septembre dernier que les quatre derniers mois de l'année "seront cruciaux pour Airbus Helicopters, avec la concrétisation ou pas d'importants contrats en Pologne et en Asie, et la remise en vol du H225", le Super Puma interdit de vol en Europe depuis juin après un accident en Norvège. Mais même cette concrétisation n'empêchera pas un trou dans la production en 2017-2018, avec de possibles mesures sociales envisagées par la direction. Direction et partenaires sociaux doivent se retrouver fin octobre lors d'un comité d'entreprise, et en interne on indique qu'elles devraient passer par la négociation et le volontariat. Jusqu'au bout et malgré les tergiversations du gouvernement polonais, Airbus Helicopters espérait matérialiser le contrat. Le Caracal, en service dans l'armée française, est la dernière évolution des appareils Puma/Super Puma, déjà vendus à plus de 500 exemplaires dans le monde. 138 Caracal sont déjà en service en France, au Brésil, au Mexique, en Malaisie, Indonésie et Thaïlande. Elle était accompagnée d'investissements compensatoires ("offset"), et notamment une chaîne d'assemblage installée localement, afin de répondre aux demandes du gouvernement polonais. Las, le gouvernement conservateur, en place à Varsovie depuis novembre dernier, a invoqué la défense des usines polonaises de ses concurrents, l'américain Lockheed Martin et Agusta-Westland, filiale de l'italien Leonardo-Finmeccanica, pour contester le choix de son prédécesseur sur le groupe européen.